Glyphosate
Cancérogène ou pas ?
Vous avez probablement déjà entendu parler du glyphosate. Il serait plus précis de parler des pesticides à base de glyphosate, ils sont les plus vendus dans le monde et au Québec. Depuis l’introduction des OGM en 1996 pour les tolérer, leurs ventes sont passées de 514 543 kg i.a. (1) à 1 883 186 kg i.a. (2019) (2), soit une multiplication par 3,6 ! Il existe 186 produits contenant du glyphosate qui sont homologués au Canada (3). Le glyphosate est donc devenu omniprésent dans nos écosystèmes et nos assiettes.
En effet, il a été détecté dans 97,7% des échantillons prélevés dans nos rivières par le MELCC (4) et Santé Canada a trouvé des résidus de glyphosate dans 47% des légumineuses, 37% des produits céréaliers et 31% des aliments pour enfants testés (5).
Mais le glyphosate, c’est-tu dangereux ou pas ?
Pour répondre à cette question, il y a de nombreux facteurs à prendre en considération, mais celui qui semble être le principal est : à qui tu demandes (!).
Dans ce blogue, nous allons tenter de faire la différence entre l’analyse faite par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui classe le glyphosate comme « cancérogène probable » depuis 2015 et celles des agences réglementaires — comme l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada (ARLA), l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en Europe, ou l’Environmental Protection Agency (EPA) aux États-Unis — qui ne considèrent pas le glyphosate comme un cancérogène.
« Si on veut que les conclusions de ces organismes réglementaires soient considérées comme crédibles par la population, il faut qu’elles soient transparentes à tous les niveaux. »
Yves Gingras, sociologue des sciences (6)
Le CIRC VS les agences de réglementations
Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) est chargé de déterminer le potentiel cancérogène d’agents chimiques et physiques en fonction du niveau de preuve scientifique disponible.
Sur quelles études s’est basé le CIRC pour classer le glyphosate comme « cancérogène probable » et les agences de réglementations pour le classer comme « non-cancérogène probable » ?
Aucun test à l'interne
Premièrement, avant de voir les différences, il est important de souligner que ni le CIRC, ni les agences de réglementations ne réalisent elles-mêmes de tests de toxicité sur les substances qu’elles évaluent. Leurs expert.e.s examinent donc les résultats de tests et d’études réalisés par d’autres.
Science publique VS science privée
Le CIRC base son analyse essentiellement sur les études publiées dans les revues scientifiques, à l’exception de rares cas où les données d’études industrielles sont publiques. Cela signifie qu’en très grande majorité, le CIRC considère des études qui ont subi une relecture par les pairs, c'est-à-dire des études réalisées par des chercheurs académiques, qu’un comité de lecture (constitué de spécialistes) a approuvé pour publication, après l’avis d’autres experts. Les données sont librement accessibles et les expériences reproductibles.
C’est une science publique et transparente.
Dans le cas des agences réglementaires, leurs évaluations sont aussi basées sur certaines études indépendantes, mais principalement sur des études commanditées et financées par les fabricants eux-mêmes. Ces résultats n’ont donc jamais subi une relecture par les pairs, et ne sont pas publiés dans des revues scientifiques. Ces études sont protégées par le secret commercial : seuls les experts des agences y ont accès.
Cette science « privée » n’est pas transparente.
« Si vous nous dites que ce n’est pas dangereux sur la base de documents que l’on ne peut pas lire, c’est un peu embêtant. »
Yves Gingras, sociologue des sciences (7)
En février 2019, dans Les années lumière, Chantal Srivastava présente les résultats d'une nouvelle étude parue dans la revue Environmental Sciences Europe (8) qui ravive la controverse au sujet du potentiel cancérogène de ce produit. Cette étude a analysé le corpus de données utilisées par le CIRC et l’EPA pour évaluer un élément bien précis : la génotoxicité – c’est-à-dire la faculté de modifier l’ADN, une propriété souvent associée au développement de cancers.
Les résultats révèlent que l’EPA a surtout utilisé les données du fabricant, qui, dans 99 % des cas, ne rapportent aucune association avec l'apparition de cancers. De son côté, le CIRC a plutôt considéré les données publiées dans la littérature scientifique révisée par les pairs ; des études qui, dans 70 % des cas, ont établi un lien avec le cancer.
« Je ne pense pas qu’il y a une controverse scientifique : les publications évaluées par les pairs qui sont publiées, elles, concluent majoritairement qu’il y a un problème ; et [celles] qui concluent qu’il n’y a pas de problèmes, [sont celles] qui viennent de compagnies. »
Yves Gingras, sociologue des sciences (9)
Le CIRC attaqué par Monsanto
La décision du CIRC de classifier le glyphosate comme « cancérigène probable » est de mauvais augure pour Monsanto (aujourd’hui racheté par Bayer). En effet, la compagnie anticipe l’effet domino d’une telle nouvelle et notamment l’ouverture de nombreux procès de la part de malades du cancer.
Pour ne pas nuire à la vente de son produit, la firme a mis 17 millions de dollars (10) sur la table, pour la seule année 2015 (!), afin de discréditer le CIRC. Un travail qui passe entre autres par le ghostwriting, cette technique qui vise à rémunérer des scientifiques pour leur faire endosser des recherches proposées par l’entreprise, ou encore le soudoiement d’une journaliste (11) pour « faire tomber » le président du CIRC avec la publication de fausses informations.
Si vous êtes pour une évaluation des pesticides basée sur une science indépendante, nous vous invitons
à ajouter votre signature au manifeste
#sortirduglyphosate.
En conclusion
Le gouvernement du Canada ne peut donc pas prétendre que son évaluation des pesticides est basée sur la science si cette science n’est pas transparente et ne peut pas être vérifiée par des pairs. Compte tenu de l'omniprésence des pesticides dans nos écosystèmes et nos organismes, il est urgent que le gouvernement rende ces évaluations totalement transparentes : c’est une question de confiance. Cette confiance est particulièrement importante en ces temps de pandémie, où en l’absence de transparence, la méfiance à l’égard des institutions ne cesse de croître.
Sur son site, Santé Canada, dont l’ARLA relève, indique que son principal objectif est de « prévenir et réduire les risques pour la santé individuelle et pour l’ensemble de l’environnement »(12). Pour cela, il est grand temps que le gouvernement écoute la science indépendante et non les intérêts corporatifs d’une poignée de multinationales de l’agrochimie.
(1) Bilan des ventes de pesticides, 2003
(2) Bilan des ventes de pesticides, 2019
(3) Site de Santé Canada, 2 février 2022, https://pr-rp.hc-sc.gc.ca/pi-ip/result-fra.php?1=0&2=501&3=act&4=a&5=1&6=ASC&7=G&8=F
(4) GIROUX, I. (2019). Présence de pesticides dans l’eau au Québec : Portrait et tendances dans les zones de maïs et de soya – 2015 à 2017, Québec, MELCC
(5) Sauvegarder grâce à la science : Dépistage du glyphosate en 2015-2016 - Santé Canada
(6) Les années lumières, 17 février 2019, La science sous la loupe d'Yves Gingras : Science règlementaire et transparence
(7) Les années lumières, 17 février 2019, La science sous la loupe d'Yves Gingras : Science règlementaire et transparence
(8) How did the US EPA and IARC reach diametrically opposed conclusions on the genotoxicity of glyphosate-based herbicides?
(9) Les années lumières, 17 février 2019 , Le débat scientifique sur le glyphosate : Les explications de C. Srivastava
(10) https://sustainablepulse.com/2019/04/01/monsanto-spent-17-million-in-one-year-to-discredit-international-cancer-agency-over-glyphosate-classification/#.YgwLq-7MK3I
(11) https://gmwatch.org/en/106-news/latest-news/18746-monsanto-fed-reuters-reporter-kate-kelland-with-info-to-discredit-iarc
(12) Site de Santé Canada, https://www.canada.ca/fr/sante-canada/organisation/a-propos-sante-canada/activites-responsabilites/mission-valeurs-activites.html
Le cas de la réévaluation du glyphosate par l'ARLA en 2017
Deux chercheuses québécoises se sont penchées sur la réévaluation du glyphosate par l’ARLA en 2017 et voici les grandes lignes de leurs recherches (13) :
- L’évaluation a pris en compte moins de 1% de l’abondante littérature scientifique, depuis le début des années 1970, sur les effets du glyphosate et des herbicides à base de glyphosate (HBG) sur la santé et l’environnement.
- Le volet concernant l’évaluation par l’ARLA des « dangers toxicologiques », repose sur 118 références provenant de l’industrie et donc non publiées. Pour les 7 autres références, censées être publiées, les auteurs et les lieux de publication n’ont pas été identifiés.
- Ces références, qui datent déjà de plusieurs années, ne correspondent aucunement à l’état actuel des connaissances. En effet, 80.5% des références de ce volet d’évaluation ont été produites avant 1996.
C’est ainsi sur la base de 95 références provenant de l’industrie et datant de plus de 20, de 30 ou de 40 ans, que la section « dangers toxicologiques » du document PRVD2015-01 prétend conclure que « les produits contenant du glyphosate ne présentent pas de risques inacceptables pour la santé humaine ou l’environnement » ou qu’ « il est peu probable que les produits contenant de l’acide de glyphosate nuisent à la santé humaine… » (ARLA, 2015:3). Compte tenu de l’évolution rapide de la recherche sur les impacts de certaines substances et des cocktails chimiques sur la santé, cette réévaluation ne correspond aucunement aux exigences scientifiques.
Dernier développement - C’est dans ce contexte, qu’en 2017, Safe Food Matters (et d’autres) a déposé des objections à la décision de l’ARLA de réhomologuer le glyphosate au Canada. Après avoir porté ses objections jusque devant la Cour fédérale, l’association a gagné son combat judiciaire en février 2022 en appel. Cette victoire signifie qu’une commission d’examen pourrait encore être constituée pour examiner la décision de réhomologuer le glyphosate (RVD2017-01) et recommander qu’il soit confirmé, annulé ou modifié.