LETTRE OUVERTE
Réformons Santé Canada
Un collectif de chercheur.euse.s et d’ONG travaillant sur le dossier des pesticides — dont Vigilance OGM fait partie, vient de publier une lettre ouverte s'inquiétant sur les décisions successives de Santé Canada en faveur de l'industrie.
Cette lettre fait écho à l’actualité sur les néonicotinoïdes, les consultations en cours sur le glyphosate et les nouveaux OGM issus de l’édition du génome. Devant l'orientation des multiples et récentes décisions, nous sommes en droit de se demander si Santé Canada défend encore la santé des Canadiens et des Canadiennes ou plutôt les intérêts des compagnies privées.
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(lien vers l'article - Le Devoir)
Santé Canada prétend que son principal objectif est de « prévenir et réduire les risques pour la santé individuelle et pour l’ensemble de l’environnement ». Or, quand l’Agence de réglementation et de lutte antiparasitaire (ARLA), relevant de Santé Canada, autorise trois insecticides néonicotinoïdes, interdits et bannis en Europe depuis 2018, quand l’ARLA propose de supprimer la réglementation sur certains « nouveaux » OGM issus de l’édition du génome sans aucune justification scientifique, laissant alors l’industrie juge et partie, et quand elle propose — pour des raisons commerciales — de doubler voire de quadrupler les seuils de résidus de glyphosate dans certains produits alimentaires de base, force est de constater que Santé Canada ne répond ni à son mandat ni à ce que la population est en droit de s’attendre de la part d’un gouvernement fédéral responsable.
Volte-face dans le dossier des néonicotinoïdes
En 2018, Santé Canada concluait qu’en raison de leurs effets nuisibles, il valait mieux interdire l’utilisation de trois néonicotinoïdes : la thiaméthoxame, la clothianidine et l’imidaclopride. Or, encore aujourd’hui au Canada, beaucoup de semences sont systématiquement enrobées de néonicotinoïdes alors même qu’il a été démontré que c’était inutile dans 95 % des cas. Ces insecticides participent à l’effondrement sans précédent des populations d’insectes et surtout des pollinisateurs constituant un « service écosystémique majeur » dont dépendent plus de 75 % de la diversité des cultures mondiales et 35 % du volume de la production agricole. Comme, en outre, les producteurs agricoles ne retirent que des bénéfices marginaux de l’utilisation des néonicotinoïdes, il semblait cohérent dans une perspective de protection de la santé et de l’environnement de les interdire complètement. Or, pour justifier sa volte-face, l’ARLA, dans le dossier de la thiaméthoxame et de la clothianidine, se contente de mettre en avant les commentaires reçus, dont plus de la moitié émanent d’instances en conflits d’intérêts (producteurs, vendeurs ou utilisateurs intensifs de pesticides) tandis que l’on écarte les commentaires d’organisations qui, ne tirant aucun profit de la mise en marché de ces produits, visent la protection de la société et de la planète. Tout ceci, alors que les néonicotinoïdes sont plus de 5000 fois plus toxiques pour les abeilles que ne l’était le DDT. L’agence fédérale fait-elle prévaloir certains intérêts de l’agro-industrie sur ceux de la santé et de l’environnement ?
Chlorpyrifos, un pesticide particulièrement dangereux
Depuis plus de 20 ans, le poids des évidences scientifiques sur les graves conséquences neurologiques de l’insecticide chlorpyrifos, nocifs pour le cerveau du fœtus et des enfants, mais aussi pour les agriculteurs exposés, est accablant. Pourtant, en 2020, Santé Canada le reconduisait, en limitant plusieurs usages agricoles pour des raisons environnementales. Entre-temps, Corteva, principal producteur de chlorpyrifos, annonçait en 2020 la fin de la production, devant la baisse marquée des ventes de cet insecticide et des interdictions de l’Union européenne et de plusieurs États américains. Et ce n’est que maintenant, après des décisions juridiques aux États-Unis, que l’ARLA annonce qu’elle révoquait l’homologation du chlorpyrifos tout en permettant à l’industrie d’écouler ses inventaires, d’ici décembre 2023…
Autres herbicides
Autre exemple, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l’Organisation mondiale de la santé, se basant sur la littérature scientifique indépendante, a classé en 2015, les herbicides à base de glyphosate (HBG) et le glyphosate comme étant « génotoxiques et cancérogènes probables ». Cela n’a pas empêché l’ARLA, en 2017, d’en renouveler pour 15 ans l’autorisation, sur la base des documents non publiés des fabricants et sans examen systématique de la littérature scientifique indépendante alors que les HBG représentent près de 60 % de tous les pesticides au Canada.
Arroser de pesticides les céréales et légumineuses juste avant la récolte ?
Il aura fallu des opérations de boycottage de certains grands importateurs de blé dur, comme Barilla (producteur de pâtes italiennes) pour qu’une partie de l’industrie s’offusque de l’utilisation préoccupante des HBG juste avant les récoltes augmentant ainsi les résidus, au point de dépasser alors les limites autorisées. Qu’à cela ne tienne, Santé Canada lance désormais des consultations afin d’augmenter, une fois de plus, les limites autorisées de glyphosate sur différents types de haricots (de 4 ppm à 15 ppm) et sur des lentilles (de 4 ppm à 10 ppm), dont le Canada est l’un des premiers producteurs au monde. Or, que signifie l’examen du seul glyphosate, l’ingrédient déclaré « actif » par le fabricant, quand les formulations commerciales vendues et utilisées contiennent généralement pour l’essentiel des co-formulants chimiques, POEA, métaux lourds, etc., jusqu’à 1000 fois plus toxiques que le glyphosate. L’ARLA se préoccupe-t-elle d’abord de la santé économique des firmes ou de celle des populations ?
Une dérégulation des « nouveaux » OGM
C’est en utilisant à nouveau l’alibi des consultations auprès des gens qu’elle consulte habituellement… que l’ARLA de Santé Canada propose cette fois de supprimer la réglementation de certains aliments génétiquement modifiés, en particulier ceux issus de l’édition du génome. Sachant qu’il n’y a pas d’antécédents d’utilisation sécuritaire de l’édition du génome dans notre approvisionnement alimentaire, cela nécessite une évaluation scientifique rigoureuse et indépendante de leur sécurité. Comment une instance publique dans un domaine aussi sensible pour l’avenir de la santé et de la biodiversité peut-elle proposer de laisser ainsi la bride sur le cou à l’industrie agrochimique ?
Face à l’inacceptable laxisme de Santé Canada, une réforme urgente et en profondeur s’impose. Comme l’écrivait Robert Dutrisac, le 10 avril dernier, dans son éditorial du Devoir, intitulé « Santé Canada inféodé à l’industrie », « Le système d’homologation au Canada qui favorise « l’innovation » toxique des fabricants est à revoir de fond en comble ». On ne saurait dire mieux.
SIGNATAIRES
Louise Vandelac, Ph.D. et Marie-Hélène Bacon, Ph.D., respectivement Directrice et Coordonnatrice du Collectif de recherche écosanté sur les pesticides, les politiques et les alternatives (CREPPA).
Dr Éric Notebaert, Vice-président, Association Québécoise des Médecins pour l’Environnement.
Louise Hénault-Ethier, Professeure associée, Institut national de la recherche scientifique (INRS).
Thibault Rehn, Coordonnateur, Vigilance OGM.
Pascal Priori, Administrateur et co-fondateur, Victimes des pesticides du Québec.
Marie-Josée Renaud, Coordonnatrice, Union Paysanne.
Sabaa Khan, Directrice-générale (Québec), Fondation David Suzuki.
Caroline Poirier, Présidente, Coopérative pour l'agriculture de proximité écologique (CAPÉ)
Martin Vaillancourt, Directeur général, Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec.
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