En mars 2018, Radio-Canada (1) et Le Devoir (2) publient des enquêtes distinctes qui font état de tentatives d’ingérence dans le travail de chercheurs de la part de membres du conseil d’administration du Centre de recherche sur les grains (CEROM) et plus largement de l’influence du privé sur la recherche publique québécoise en l’agriculture.
Une note interne accablante du MAPAQ, accompagnée d'une dizaine de témoignages recueillis par les médias, met en lumière une crise majeure au sein du CEROM.
Les révélations font état : (1) d’une vague de démissions parmi les chercheurs ; (2) de tentatives de dissimulation de résultats ; et (3) d’une ingérence accrue du secteur privé dans les études.
Vague de démissions parmi les chercheurs
On apprend que de nombreuses employé.e.s ont commencé à démissionner entre 2016 et 2017. Une démission de masse de 15 employés en 2 ans — dont 7 chercheurs. Des entrevues avec quelques employés rapportent la teneur de leur démission à l’atmosphère de « contrôle » qui règne au centre. En effet, les différentes formes de contraintes imposées à la recherche participent au musèlement des chercheurs. Un document confidentiel interne au MAPAQ (3) allègue que des chercheurs du CEROM ont subi des tentatives d’intimidation de la part de membres du conseil d’administration et de son président, Christian Overbeek, « dans la diffusion et l’interprétation des résultats de projets de recherche ».
Tentatives de dissimulation de résultats
Sans qu’aucune explication ne soit fournie, deux études réalisées par le CEROM et transmises au ministère en février et juin 2017 n'ont pas été publiées sur le site du MAPAQ. Pourtant, selon des chercheurs et des fonctionnaires, le délai habituel de publication ne dépasse généralement que quelques semaines. Ces études révélaient que les néonicotinoïdes, ces insecticides dits « tueurs d’abeilles », que l’on enrobe sur les semences de maïs et soya, sont inutiles d'un point de vue agronomique (4). En effet, aucun des 84 sites analysés n’a montré d’effet positif des insecticides sur le rendement.
La vision plus commerciale de la recherche préconisée par la direction générale et le conseil d’administration du CEROM entre en conflit avec la vision agroenvironnementale du MAPAQ basée sur la science. — Compte rendu d'une rencontre de la haute direction du MAPAQ, le 4 décembre 2017, à laquelle a participé le sous-ministre Marc Dion (5)
En février 2020, l'étude sera publiée dans la revue scientifique PLOS One par l’équipe de recherche dirigée par Geneviève Labrie, qui ne fait plus partie du CEROM à cette date.
Ingérence accrue du secteur privé dans les études
On apprend que plusieurs membres du conseil d’administration imposaient un climat de travail tendu au CEROM et avaient des prises de position pro pesticides. Des chercheurs ont aussi été dissuadés de travailler sur des questions portant sur le domaine de l’agroenvironnement. Le président du conseil d’administration, Christian Overbeek, a contredit publiquement les résultats du CEROM sur les néonicotinoïdes dans sa lettre ouverte publiée dans Le Devoir intitulée subtilement « L’utilisation des néonicotinoïdes ne tue pas les abeilles » (6).
Le Centre de recherche sur les grains (CEROM) est une institution publique dont une partie des recherches vise à réduire l'utilisation des pesticides qui nuisent à l'environnement et à la santé des populations. À l’époque, le CEROM était financé à 68 % par le ministère de l'Agriculture. Pourtant, son conseil d'administration était entièrement dominé par le privé.
3 représentants des Producteurs de Grains du Québec, dont M Overbeek, le président
2 représentants provenant Sollio, le plus gros vendeur de pesticides et OGM au Québec
1 représentant de Synagri, l'un des principaux vendeurs de pesticides et OGM au Québec;
2 administratrices indépendantes;
1 représentant du MAPAQ est invité en tant qu’observateur et n’a aucun pouvoir décisionnel.
La composition du conseil d’administration du CEROM témoignait donc d’un conflit d’intérêts important pour six des huit membres en position de vote.
En avril 2019, Christian Overbeek se retire de la présidence du CEROM (7), mais reste président des Producteurs de Grains du Québec, inscrit comme lobbyiste à Québec et sur le CA de la Financière Agricole.
(1) « Pesticides : quand le privé administre la recherche publique québécoise », Radio-Canada, le 5 mars 2018
(2) « Néonicotinoïdes: crise dans un centre de recherche agricole financé par Québec », Sarah Champagne, le 5 mars 2018
(3) « Rapport du Protecteur du citoyen « Cas grave de mauvaise gestion au MAPAQ » », Daphné Cameron, La Presse, 21 septembre 2023
(4) « Les pesticides « tueurs d'abeilles » ne servent à rien, conclut une étude », Radio-Canada, le 26 février 2018
(5) « Les coulisses du congédiement du lanceur d'alerte Louis Robert révélées », Thomas Gerbet, Radio-Canada, le 7 mai 2019
(6) « L'utilisation des néonicotinoïdes ne tue pas les abeilles », Christian Overbeek, Le Soleil, le 16 septembre 2017
(7) « Pesticides: le président du CÉROM se retire, Patrice Bergeron », La Presse, le 18 avril 2019