En route vers la COP 15
Pourquoi l’agriculture est centrale ?
Du 7 au 19 décembre 2022, se tiendra à Montréal la COP 15, la 15e Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies (CDB). Cet événement international vise à fixer de nouveaux objectifs et à rehausser le niveau d’ambition des États pour les 10 prochaines années. Depuis des décennies, les multinationales de l’agrochimie ont imposé, avec la complicité des gouvernements, une agriculture industrielle à grande échelle et l’élevage intensif, qui sont désormais considérés comme les principaux facteurs des deux crises majeures actuelles, celle de la biodiversité et celle climatique.
Ce premier blog de la série en route vers la COP 15 vise à expliquer pourquoi la question de notre système agricole est centrale dans ces négociations. On y parle de biodiversité agricole, des impacts de l’agriculture industrielle et de l’agroécologie.
Nous tenons à souligner que Vigilance OGM ne se targue pas d’être expert dans ce dossier complexe, c’est pourquoi nous avons utilisé le rapport des AmiEs de la terre international : Replanter la biodiversité agricole dans la CDB1 dont les textes suivants sont tirés.
INTRODUCTION
La biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture ne peut être envisagée indépendamment des humains qui s’occupent des systèmes de production. Les agriculteurs, les éleveurs, les habitants des forêts, les pisciculteurs et les pêcheurs entretiennent une relation permanente avec leur environnement, qu’ils façonnent à des degrés divers, et dont ils utilisent les composantes de la biodiversité au moyen de différentes associations afin de répondre à leurs besoins. De nombreuses espèces domestiquées ont été utilisées, reproduites et protégées par les humains depuis des milliers d’années.2
La biodiversité est par nature synonyme d’abondance. Elle est un réservoir débordant de vie, de diversité et de profusion et en constante évolution, qui reste encore en partie inconnu des humains. Les discours inquiétants liés à l’effondrement de la biodiversité et à l’urgence qui y est associée font parfois de l’ombre à cette extraordinaire richesse de la nature, et à sa soif de prospérer.
LA BIODIVERSITÉ AGRICOLE
Plus de 500 millions de paysans et de producteurs d’aliments entretiennent une relation particulière avec la biodiversité à travers le globe. Leurs écosystèmes, la biodiversité que l’on y trouve ainsi que la vie sous toutes ses formes font partie du système qui les fait vivre, et qui leur fournit des aliments, des médicaments, du combustible, un abri, des moyens de subsistance, des connaissances et une culture.
Pour les producteurs familiaux et les paysans, la biodiversité agricole représente plus qu’un moyen d’existence ; elle signifie la vie elle-même. Les paysans, les peuples autochtones, les pêcheurs, les habitants des forêts, les éleveurs et les communautés locales se voient comme une partie intégrante de la nature et du cycle évolutif de la biodiversité. Leurs activités quotidiennes impliquent à la fois de profiter de la biodiversité et des écosystèmes qui les entourent, et de les nourrir en retour. Pendant des milliers d’années, ils ont utilisé la sagesse acquise par l’expérience, les connaissances, la culture, la tradition et l’amour de leurs territoires, pour améliorer la diversité de leurs cultures et de leurs plantes sauvages apparentées. Ils se sont occupés de leurs terres, de leurs eaux et de leurs territoires, et ont élevé des races animales et aquatiques rares, dont la survie n’est assurée que grâce à leurs soins.
Le dynamisme et l’efficacité du réseau alimentaire paysan, dans toute sa diversité, sa richesse et sa générosité, par rapport à une chaîne alimentaire industrielle (homogène, vorace et pourtant vulnérable) est bien illustrée par cette description d’ETC Group.3
Le « réseau » utilise moins de 25 % des terres agricoles pour cultiver les aliments qui nourrissent plus de 70 % de la population (fournissant par là un apport fondamental aux deux milliards de personnes les plus vulnérables). Le « réseau » utilise environ 10 % de l’énergie fossile imputable à l’agriculture, et pas plus de 20 % de la demande totale en eau du secteur agricole, avec beaucoup moins de dégâts pour les sols et les forêts que n’en provoque la « chaîne ». La « chaîne » exploite plus de 75 % des terres agricoles du monde, détruisant chaque année 75 milliards de tonnes de terre arable. Elle contrôle un marché qui abat 7,5 millions d’hectares de forêts. La « chaîne » est de surcroît responsable d’au moins 90 % de l’utilisation de combustibles fossiles (et des émissions de GES), et d’au moins 80 % de l’utilisation d’eau douce pour l’agriculture, alors qu’elle nous laisse une facture de 12 370 milliards de dollars (pour les aliments et les dégâts causés). Elle place également 3,9 milliards de personnes en état de sous-alimentation ou de malnutrition.
La biodiversité agricole forme le socle du système alimentaire, tout en fournissant des fibres, des aliments pour animaux, des combustibles, des produits pharmaceutiques et des matériaux de construction. Elle représente un sous-ensemble essentiel de la biodiversité, qui comprend les semences, les races animales et végétales ainsi que les écosystèmes dans lesquels les aliments et d’autres produits sont cultivés et récoltés par les humains.4
L’AGRICULTURE INDUSTRIELLE : UNE GRAVE MENACE POUR LA BIODIVERSITÉ
Ces dernières années, de nombreuses données ont été produites à travers le monde quant à l’état alarmant de la biodiversité et des écosystèmes. Ironie de l’histoire, l’une des principales menaces pour la biodiversité agricole est précisément l’agriculture industrielle. Les rapports dignes de foi de :
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l’IPBES (Évaluation mondiale, 2019),
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de la FAO (État de la biodiversité dans le monde pour l’alimentation et l’agriculture, 2017),
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du GIEC (Rapport spécial sur le changement climatique et les terres, 2020) et
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de la CDB (Perspectives mondiales de la diversité biologique 5, 2020)
exposent un argumentaire complet contre les principaux facteurs de l’appauvrissement de la diversité biologique.5
Ils dressent un tableau sombre : une économie mondiale qui provoque continuellement un changement d’utilisation des sols, la destruction des habitats, la déforestation, la pollution et des dégâts irréversibles aux précieux écosystèmes (marins et terrestres). Non seulement cela conduit à des niveaux inquiétants d’appauvrissement de la diversité biologique, mais cette situation accélère également le désengagement des communautés locales qui vivent et prennent soin de leurs écosystèmes, à travers une perte de moyens de subsistance, de droits et de valeurs culturelles. Avec la diminution de plus de 75 % de la diversité végétale au cours des 100 dernières années, les disparitions d’espèces et de variétés ont atteint un niveau extrême, nous plaçant de fait dans la sixième extinction de masse.
Les pratiques, les outils et les approches de l’agriculture industrielle forment les causes directes de l’appauvrissement de la diversité biologique, et représentent une menace redoutable : les immenses plantations de monoculture, l’utilisation généralisée de pesticides et d’herbicides, ou encore la tendance croissante à l’emploi de cultures et d’animaux génétiquement modifiés constituent une agression à grande échelle contre la nature et la biodiversité.
La campagne « Stop FAO-CropLife #ToxicAlliance » l’expose ainsi :
« L’utilisation de pesticides toxiques représente une menace mondiale pour la santé humaine et l’environnement. Les pesticides polluent les aliments que nous mangeons, l’eau que nous buvons et l’air que nous respirons. Ils constituent l’un des principaux facteurs de l’effondrement sans précédent des populations d’insectes et de l’appauvrissement de la diversité biologique. Chaque année, 385 millions d’agriculteurs et de travailleurs agricoles subissent une intoxication aiguë aux pesticides ».6
L’évaluation mondiale de l’IPBES dresse un panorama saisissant du déclin particulièrement inquiétant de la santé des sols, de la diversité des pollinisateurs et des écosystèmes marins et forestiers depuis les années 1970, alors même que la production agricole a augmenté (ce qui porte à croire que ces gains matériels ne sont pas durables, et ne constituent pas un motif valable pour exploiter la biodiversité).
L’IPBES déclare :
Dans les écosystèmes terrestres et d’eau douce, le changement d’utilisation des terres est le facteur direct ayant eu l’incidence relative la plus néfaste sur la nature depuis 1970, suivi par l’exploitation directe, et en particulier la surexploitation des animaux, des plantes et d’autres organismes (collecte, exploitation forestière, chasse et pêche). Dans les écosystèmes marins, l’exploitation directe des organismes (principalement la pêche) est le facteur qui a eu l’incidence relative la plus importante, suivi par le changement d’utilisation des terres et des mers. La forme la plus répandue de changement d’utilisation des terres est l’expansion agricole, plus d’un tiers de la superficie terrestre étant utilisée pour les cultures et l’élevage.7
L’AGROÉCOLOGIE : UNE VOIE VERS LA RÉSILIENCE CLIMATIQUE
L’utilisation des terres agricoles contribue largement aux changements climatiques et à l’appauvrissement de la diversité biologique, et le système alimentaire (du champ à l’assiette, et jusqu’aux déchets) est responsable de 44 % à 57 % de l’ensemble des émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Cela comprend les émissions liées au changement d’utilisation des terres, à la production agricole et animale, à la production d’intrants pétrochimiques, à la déforestation et à la dégradation des sols, aux emballages, au transport et aux déchets alimentaires.8
La gigantesque empreinte écologique du système alimentaire industriel conduit à la conclusion irréfutable que nous ne pouvons pas nous attaquer sérieusement aux changements climatiques et à l’appauvrissement de la diversité biologique si nous ne remettons pas en question et ne transformons pas notre système alimentaire.
La seule manière (à la fois impérative et urgente) de rester en deçà du seuil de 1,5 °C de réchauffement de la température mondiale consiste à transformer l’agriculture pour qu’elle s’oriente vers la résilience des systèmes, une plus grande diversité biologique et la restauration des cycles du carbone.9
Selon la Climate Land Ambition and Rights Alliance (CLARA), nos stratégies climatiques nous mènent au « bord du gouffre ». Les solutions fondées sur les écosystèmes telles que l’agroécologie offrent pourtant « des stratégies directes, accessibles, rentables et équitables pour atteindre l’objectif de 1,5 °C d’augmentation de la température. ».10
L’agroécologie représente un cadre visionnaire et une approche indispensable pour la résilience du climat et des systèmes alimentaires, dont la biodiversité agricole et les droits humains sont les pièces maîtresses. Elle gagne rapidement en importance en tant que réponse viable aux crises du climat et de la biodiversité, abordant les dimensions tout aussi importantes les unes que les autres que sont les droits et les pouvoirs des paysans, l’égalité de genre et la participation des jeunes et des nouvelles générations d’agriculteurs.
Pour les mouvements paysans, l’agroécologie représente le refus d’un système alimentaire industriel qui continue de priver les populations de leurs droits, de détruire leurs écosystèmes et leur biodiversité, d’empoisonner leurs terres et leurs eaux et de mettre en danger leurs moyens de subsistance.
Elle est en même temps une affirmation du « langage de la nature ».11 L’agroécologie représente un nouveau cadre fondamental de revalorisation de la nature et des savoirs paysans, et de revitalisation des communautés locales et autochtones à partir de leur souveraineté territoriale et culturelle. Les pratiques agroécologiques fonctionnent en s’appuyant sur les processus biologiques et écologiques, qu’elles maintiennent et améliorent, et en réduisant l’usage d’intrants achetés et de synthèse, afin de créer des agroécosystèmes plus diversifiés, plus résistants et plus productifs, ainsi que l’a expliqué le groupe d’experts de haut niveau du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (HLPE). L’agroécologie utilise des approches et des valeurs holistiques afin de favoriser la diversification, les cultures intercalaires, les cultures mixtes (y compris l’agroforesterie et la pêche en milieu forestier), l’intégration des animaux, la lutte biologique contre les parasites et les maladies, l’amélioration de la structure et de la santé des sols, la gestion biologique des nutriments, la gestion des habitats pour la biodiversité associée et le recyclage de l’énergie, des nutriments et des déchets.12
En tant que science, pratique et mouvement, l’agroécologie est fondée sur l’équité. Ses méthodes s’appuient sur l’échange entre pairs, la valorisation des connaissances (des peuples autochtones, des femmes, des personnes âgées, des jeunes), l’intersectionnalité et l’intergénérationnalité, étant donné que la gestion de la biodiversité est essentielle pour les générations futures.
Comme l’a déclaré le Forum international sur l’agroécologie :
L’agroécologie est politique ; elle nous demande de remettre en cause et de transformer les structures de pouvoir de nos sociétés. Nous devons placer le contrôle des semences, de la biodiversité, des terres et territoires, de l’eau, des savoirs, de la culture, des biens communs et des espaces communautaires entre les mains de celles et ceux qui nourrissent le monde.13
L’attention croissante portée à l’agroécologie, sous l’impulsion des organisations paysannes et des mouvements sociaux, a suscité l’intérêt des gouvernements et des bailleurs de fonds, et a encouragé les appels à davantage de recherche et de financement pour les initiatives agroécologiques — notamment de la part de la FAO et du Comité pour la sécurité alimentaire mondiale. Selon le rapport de Trondheim, les pratiques et les modes de gestion favorisant l’utilisation durable et la conservation de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture sont en hausse (y compris pour la sylviculture et la pêche), même si elles nécessitent des recherches supplémentaires, une transposition à plus grande échelle et des cadres plus solides.14
Du fait de la reconnaissance croissante de l’agroécologie en tant qu’approche systémique, un large éventail d’acteurs (en particulier les grandes entreprises, ainsi que certaines ONG, États et organisations intergouvernementales qui les soutiennent) s’efforcent toutefois de récupérer le terme « agroécologie » de différentes manières préjudiciables.
EN CONCLUSION
La question de notre système agricole est donc centrale dans les négociations à venir lors de la COP 15, la 15e conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies (CDB). Les engagements qui seront pris entre le 7 et le 19 décembre, seront décisifs pour les 10 prochaines années. Ne laissons pas l’industrie dicter notre modèle agricole. L’importance de la biodiversité agricole a été démontrée, les impacts de l’agriculture industrielle ont été dénoncés à maintes reprises, les bienfaits de l’agroécologie sont concluants.
Nous devons augmenter la sensibilisation et la mobilisation !
Ensemble, faisons contrepoids aux lobbys de l’agrochimie.
COMMENT VOUS IMPLIQUER
- Être bénévole pour Vigilance OGM durant la COP 15 : Durant cet événement international, on va avoir besoin de vous ! Nous cherchons donc des personnes prêtes à s’impliquer afin de nous aider pour :
- la logistique entourant nos conférences à l’Espace Génération Vivante (UQAM) (calendrier publié sous peu),
- la création de matériel pour la grande manifestation (lien),
- se joindre à nous lors de la marche ,
- l’affichage et création de pochoir à la craie au centre-ville
- ……
Pour nous suivre et vous impliquer :
- Être bénévole pour le collectif COP 15 : Le collectif COP 15 recherche des bénévoles pour la Grande marche pour le vivant du 10 décembre et pour l'Espace Générations Vivantes. Voici le formulaire pour s’inscrire.
- Appuyez-nous : Si vous désirez appuyer l'unique réseau au Québec qui travail activement sur les enjeux des OGM et des pesticides, faites un don dès maintenant !