Lettre ouverte aux nouveaux ministres
Pesticides : 30 ans de politiques inefficaces
M. André Lamontagne et M. Benoît Charette, vous venez de nouveau d’être nommés respectivement aux postes de ministres de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) et de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec (MELCC). Pour nos organisations, ce sont deux postes clés pour réduire notre dépendance aux pesticides, un objectif essentiel pour assurer la santé environnementale et humaine et pour lequel il faudra faire preuve de courage politique. On retrouve désormais des pesticides dans presque toutes les eaux de surface du Québec.
Il est d’autant plus urgent d’agir étant donné que depuis 1992, aucune des trois stratégies ou politiques gouvernementales visant à réduire la vente des pesticides y est arrivée (1). Au contraire, depuis trente ans, les ventes de pesticides pour le milieu agricole ont augmenté de 3 %, soit près de 100 000 kg d’ingrédients actifs (2).
Cela exclut les insecticides utilisés pour enrober les semences. Pour enfin mettre fin à l'utilisation excessive des pesticides, cette lettre propose deux mesures concrètes que votre nouveau gouvernement devrait mettre en place immédiatement.
Cas d’école : enrobage des semences
Vous connaissez sans doute l’affaire ‘’Louis Robert’’, l’agronome du MAPAQ qui a été congédié en 2019 pour avoir dénoncé l’ingérence du secteur privé dans la recherche publique sur les pesticides. La recherche scientifique (3) à l’origine de cette affaire, financée en majeure partie par les contribuables québécois, concluait que l’enrobage préventif de semences aux insecticides, dont font partie les néonicotinoïdes, est inutile dans plus de 95 % des champs de maïs et de soya du Québec. Le gouvernement a réagi en instaurant une prescription obligatoire pour l’enrobage de semences à trois pesticides de la famille des néonicotinoïdes en 2019, ce qui a eu un effet immédiat en diminuant leur utilisation.
Cependant, comme on l’apprenait la semaine dernière dans un article de La Presse intitulé : Pesticides dans les rivières le fléau suit son cours (4), même si les néonicotinoïdes ne sont presque plus utilisés, le dernier rapport (5) sur la présence des pesticides dans l’eau au Québec du MELCC démontre qu’ils sont persistants dans l’environnement. On y apprenait aussi que les néonicotinoïdes sont largement remplacés par d’autres enrobages aux insecticides de la famille des diamides. Ces derniers sont maintenant détectés dans 99 % à 100 % des échantillons et leurs concentrations sont à la hausse dans les quatre rivières. Les diamides sont même plus dangereux pour la faune aquatique que les néonicotinoïdes.
Courage politique et actions recherchées
Le cas des semences enrobées aux pesticides démontre que l’application de ces pesticides est dans bien des cas complètement inutile, mais que leurs impacts, eux, sont bien réels. Cela commence par la santé des agriculteur.trice.s qui les manipulent et qui sont souvent peu ou pas informés des dangers qu’ils encourent. Cela est sans compter les impacts importants sur la biodiversité, particulièrement sur les pollinisateurs et la faune aquatique lors du lessivage des semences. Ainsi, nous demandons dès maintenant l’interdiction de tous les enrobages de semences préventives aux insecticides au Québec. Plus largement, nous demandons que le gouvernement du Québec dépose à nouveau le Projet de loi n° 41, Loi modifiant la Loi sur les agronomes. Rappelons que ce projet de loi est une première étape qui vise, entre autres, à séparer la prescription agronomique de la vente des pesticides et que l’Ordre des agronomes l’avait accueilli favorablement. Ces deux mesures devraient être mises en place avant la fin de la première session parlementaire et permettront de juger de votre volonté de réduire notre dépendance aux pesticides au Québec.
Le gouvernement du Québec a le devoir de protéger la santé des citoyen.ne.s du Québec et particulièrement les populations à risque que sont les agriculteur.trice.s. De plus, en plein contexte de crise mondiale de la biodiversité, il est plus que temps d’agir pour diminuer l’exposition à ces polluants dangereux.
Pour rappel, il se tiendra à Montréal du 7 au 19 décembre 2022 la 15e Conférence des Parties (COP15) à la Convention sur la diversité biologique (CDB) des Nations Unies. Cette rencontre internationale donnera aux participant.e.s l’occasion de définir de nouveaux objectifs et d’élaborer un plan d’action pour la nature au cours de la prochaine décennie. En tant qu'hôte, le Québec sera-t-il à la hauteur ? Il est temps de le démontrer avec des mesures concrètes et efficaces.
Signataires :
Thibault Rehn, Coordinateur de Vigilance OGM
Amandine François, Coordinatrice de Victimes des pesticides du Québec
Rébecca Pétrin, Directrice générale d’Eau Secours
Pierre Avignon, co porte-parole de Mégaporcherie, non merci !
Catherine Hallmich, Responsable des projets scientifiques, Fondation David Suzuki
Marie Josée Renaud, Coordinatrice de l’Union Paysanne
Patricia Clermont, coordonnatrice, Association québécoise des médecins pour l'environnement (AQME)