L’agronomie est « une discipline scientifique universitaire qui porte sur l’ensemble des aspects de l’agriculture et de la production alimentaire, de la terre à la table » — Ordre des agronomes du Québec
Au Québec, le titre d’agronome est régi par la Loi sur les agronomes, une législation provinciale qui en fait une profession à exercice exclusif encadrée par l’Ordre des agronomes du Québec (OAQ).
Comme tous les ordres professionnels, l’OAQ a pour mission principale de protéger le public. Comme professionnel, l’agronome s’engage à adopter les meilleures pratiques en contribuant au bien-être de la population et à la pérennité du patrimoine agricole et agroalimentaire. La finalité étant d’obtenir, de façon efficiente, des produits sains, fiables et utiles pour la société.
Malheureusement, cette profession souffre depuis des années d’une image négative, particulièrement depuis l’affaire « Louis Robert ». Le lanceur d’alerte avait dénoncé l’ingérence d’entreprises privées dans le secteur de l’agronomie entraînant une surutilisation de pesticides au Québec. En 2019, l’agronome a été congédié par le ministère de l’Agriculture après avoir dénoncé publiquement cette influence au Centre de recherche sur les grains, le CEROM.
La majorité des agronomes qui conseillent les agriculteur.rice.s sont des salariés des compagnies qui commercialisent les pesticides (1). Au Québec, les plus gros vendeurs de pesticides employant des agronomes sont Sollio Agriculture, Synagri et Williams Houde.
Au Québec, depuis des années, on a séparé les rôles de prescription de la vente des médicaments pour éviter les conflits d'intérêts. Le médecin ne vend donc pas les médicaments qu'il prescrit. Le contraire serait choquant, n'est-ce pas ?
Malheureusement, c'est encore le cas pour les agronomes, les « médecins » des cultures : ils prescrivent et vendent des pesticides.
Dans le système capitaliste actuel, le but des entreprises est de maximiser leurs profits. Dans le cas des vendeurs de pesticides, le but est donc de maximiser la vente de pesticides. Cela va bien entendu à l’encontre de la santé de leurs client.e.s : les agriculteur.rice.s, qui sont les premières victimes de leur utilisation — sans oublier les nombreux impacts sur les écosystèmes.
Au Québec, la majorité des agronomes qui conseillent les agriculteur.rice.s sur l'utilisation des pesticides sont des salariés des entreprises qui vendent ces produits. On sait qu’il existe des incitatifs illégaux versés à des agronomes pour vendre plus de pesticides, et ce malgré le code de déontologie des agronomes du Québec qui indique qu'« un agronome doit s’abstenir de recevoir, en plus de la rémunération à laquelle il a droit, tout avantage, ristourne ou commission relatifs à l’exercice de sa profession » (2).
L’intérêt financier lié à la vente de pesticides influence leur jugement dans le cadre de leurs relations professionnelles avec le monde agricole. Ces conflits d’intérêts compromettent gravement leur capacité à offrir des conseils agronomiques indépendants (comme l’exige leur code de déontologie) et la mission de protection du public (comme l’exige leur ordre).
Ces conflits d'intérêts non encadrés confèrent un rôle clé aux vendeurs de pesticides dans l’orientation de l’agriculture québécoise. Les agronomes-vendeurs, incités par des bénéfices sur les ventes, favorisent les produits des compagnies qui les rémunèrent, devenant ainsi des promoteurs stratégiques de ces entreprises. Cette influence, exercée dès le début de la chaîne décisionnelle, en « première ligne », permet au secteur privé de façonner les besoins en intrants des agriculteur.rice.s.
Les agronomes divisés sur la questions
En 2019, Louis Robert se porte candidat à la présidence de l’OAQ en faisant du conflit d’intérêts le thème central de sa campagne. Il soutient que les agronomes employés par les fournisseurs de pesticides sont en situation de conflit d’intérêts lorsqu’ils émettent des prescriptions agronomiques, malgré l’obligation annuelle de divulgation d’intérêts imposée par l’ordre. Selon lui, toute forme de rémunération, même sans boni ni commission, constitue un conflit d’intérêts.
Louis Robert perd de 15 voix ses élections (3), face à Michel Duval qui a fait l’ensemble de sa carrière dans le privé — dont principalement chez BASF, l’un des principaux vendeurs de pesticides au monde
Projet de loi 41
En juin 2022, M. Lamontagne, ministre de l’Agriculture du Québec, déposait le projet de loi 41 afin de remédier à cette problématique en séparant la vente et la prescription agronomique (4). Ce projet de loi n’a malheureusement jamais abouti suite à des pressions toujours intenses de différents lobbyistes, comme M. Overbeek, président des Producteurs de Grains du Québec (5) ou Sollio Agriculture (6).
En mars 2024, Vigilance OGM a uni sa voix avec d’autres organismes (7) afin de demander au gouvernement de respecter ces promesses et de moderniser l’encadrement de la profession d’agronome avec un projet de loi garantissant une certaine autonomie des agriculteur.rice.s sur leur ferme, tout en visant à diminuer l’usage des pesticides (et donc leurs impacts).
« Ces professionnels sont rémunérés par les fournisseurs de pesticides qui les emploient dont l’objectif principal est de générer des ventes qui répondent, et même, qui surpassent les objectifs fixés » — UPA (dans son mémoire pour la Commission parlementaire sur les pesticides (2019) (8)
Au Québec, il existe deux organisations qui représentent les agronomes : l'Ordre des agronomes du Québec (OAQ) et l'AQAFI — une association nouvelle, créée par les vendeurs de pesticides en opposition du projet de loi 41.
(1) « Trop de pesticides inutiles dans les champs », Thomas Gerbet, Radio-Canada, le 4 août 2017
(2) « Des incitatifs illégaux versés à des agronomes pour vendre plus de pesticides », Thomas Gerbet, Radio-Canada, le 28 mars 2019
(3) « Louis Robert perd une élection très serrée à la présidence de l’Ordre des agronomes », Thomas Gerbet, Radio-Canada, le 9 mai 2019
(4) Assemblée nationale du Québec, Projet de loi n° 41, Loi modifiant la Loi sur les agronomes
(5) « Pour une science indépendante et transparente », Thibault Rehn et Louis Robert, Le Droit, le 8 septembre 2023
(6) « Carnet de voyage et projet de loi 41 », Ghislain Gervais, novembre 2022
(7) Communiqué de presse : Moderniser l’encadrement de la profession d’agronome : des organismes unissent leur voix, le 28 mars 2024
(8) Union des producteurs agricoles, Pour un Québec chef de file en protection durable des cultures, Mémoire déposé à la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles, juillet 2019, p.50