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MONOPÔLE DE L'UPA

 

En 1972, la Loi sur les producteurs agricoles a mis en place, au Québec, un monopole syndical agricole, l’Union des producteurs agricoles (UPA). 
Il s'agit d’une situation unique dans le monde. 

 

« Nulle part ailleurs, le droit d’association défini par la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies n’est limité de la sorte. Partout ailleurs, deux ou trois associations agricoles reflètent la diversité des intérêts, régions et modes de production, sans empêcher un syndicat plus fort que les autres de s’imposer sur les enjeux d’intérêt national. » — Institut Jean-Garon

 

Si on considère que l’agriculture est multiple, les agriculteurs et agricultrices ont donc besoin d’une multitude de voix pour les représenter.

L’UPA est constituée de 145 groupes régionaux et provinciaux spécialisés, 89 syndicats locaux et 12 fédérations régionales. Elle comporte une double structure : selon le territoire géographique où se situent les producteurs, c’est le « secteur général » ; et selon le type de production agricole qu’ils exercent, c’est le « secteur spécialisé » (1). Cette structure lui permet d’intervenir dans tous les dossiers agricoles et d’exercer une influence sur les instances sociales et politiques à travers le territoire.

Les fédérations spécialisées gèrent, sous la Régie des marchés agricoles, les offices de producteurs, leurs plans conjoints et les conventions de mise en marché collective. Ces conventions — qui contrôlent la mise en marché de près de 5 milliards de produits agricoles chaque année via un système de prélèvement, représentent le principal levier de l’UPA : cela confère à l’UPA une puissance financière et d’influence énorme. En effet, « nos lois agricoles confèrent à l’UPA un quasi-droit de « taxation sans représentation » en raison de sa mainmise, par l’entremise de ses fédérations spécialisées, sur les programmes mixtes de mise en marché. » (2).

 

Moyen

L’UPA a donc une grande influence sur nos institutions agricoles, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), les centres de recherche et même sur nos universités : et cela sans véritable contrepoids posant ainsi un problème démocratique. 

 

‘’Nous [...] avons laissé les intérêts corporatistes (l’UPA et les commerçants de pesticides) s’ingérer, interférer avec nos efforts à toutes les étapes de la diffusion de l’information, dans chacun des maillons de la chaîne de transfert de connaissances.’’ — Louis Robert

 

UPA, UN SYNDICAT ?

 

L’UPA se distingue des syndicats ouvriers traditionnels qui regroupent des salarié.e.s et négocient des conventions collectives. Contrairement aux syndicats régis par le Code du travail, où l’adhésion est facultative et les cotisations sont prélevées selon la formule Rand (3), l’UPA regroupe des entreprises agricoles sous la Loi des syndicats professionnels.

Les agriculteur.rice.s sont donc des entrepreneurs et travailleurs autonomes, sans convention collective assurant des avantages uniformes à tous.
 

Spécialiste du double discours

En juin 2022, le ministre de l’Agriculture du Québec, M. Lamontagne, déposait le projet de loi 41 afin de remédier à la problématique de la vente et la prescription agronomique en séparant les deux pratiques (4). Projet de loi qui n’a malheureusement jamais abouti compte tenu des positions de différents lobbyistes. 

Dans son mémoire, par exemple, l’UPA abonde dans le même sens que de nombreux organismes environnementaux (tels que Vigilance OGM) sur la nécessité de la séparation de la vente et de la prescription agronomique. Elle y critique les agronomes à l’emploi de sociétés qui vendent des pesticides : « Ces professionnels sont rémunérés par les fournisseurs de pesticides qui les emploient dont l’objectif principal est de générer des ventes qui répondent, et même, qui surpassent les objectifs fixés. (5) » 

Par contre, ses membres sont loin d’être du même avis. 

Dans leur mémoire, les Producteurs de Grains du Québec, eux, font la promotion des conseillers-vendeurs de l’industrie : « Dans une évaluation de l’expertise disponible dans le domaine des pesticides pour répondre aux besoins des producteurs, il s’est avéré que les agronomes qui travaillent pour des compagnies de vente de pesticides sont les mieux expérimentés dans ce domaine (6) ». 

Pareil pour Sollio Agriculture — le plus gros vendeur de pesticides du Québec qui engage des centaines d’agronomes conseillers-vendeurs. L’entreprise s’oppose directement à ce projet de loi : « Nous sommes tous convaincus que cette séparation est une mauvaise solution à des problèmes qui demandent la collaboration de tous (7) ».

En savoir plus

 

LES PRODUCTEURS DE GRAINS DU QUÉBEC (PGQ)

 

 

Moyen

Avec la mission de promouvoir, défendre et développer de façon collective les intérêts professionnels, économiques, sociaux et moraux de ses membres, les Producteurs de Grains du Québec se veulent avant tout un lieu de réseautage ayant pour but d’améliorer l’environnement d’affaires des entreprises qu’ils représentent. — LES PRODUCTEURS DE GRAINS DU QUÉBEC

 

L'organisme Producteurs de Grains du Québec (PGQ) représente l’une des plus puissantes filières de l’UPA. C’est aussi la filière associée aux cultures OGM. 
Son président, controversé, Christian Overbeek, siégeait encore au comité exécutif de l’UPA fin 2024, malgré ses implications dans les scandales du Centre de recherche sur les grains (CEROM) et de l’affaire « Louis Robert ».

Les Producteurs de Grains du Québec représentent près de 10 500 producteurs des quatre coins du Québec, dont les producteurs d’OGM pour les cultures de maïs-grain, de soya et de canola. En 2024 (8) :

  • 324 000 hectares de maïs-grain OGM ont été plantés au Québec, soit 91 % des surfaces de maïs-grain ;
  • 347000 hectares de soya OGM ont été plantés au Québec, soit 80,2 % des surfaces de soya ;
  • 14 000 hectares de canola — dont probablement presque 100 % sont OGM. En effet, il n’existe pas de statistiques séparées contrairement au maïs-grain et au soya. Compte tenu de la contamination à grande échelle, il n'existe à notre connaissance plus qu’un seul producteur de canola biologique au Québec, la ferme Tournevent. Aujourd’hui, seule la certification biologique peut assurer le consommateur.rice que le produit qu’il achète est exempt d’OGM.
  • En 2022, sur un total de 1 157 077 hectares cultivés au Québec (si on exclut le foin), 620 100 hectares étaient des cultures OGM soit 53,6 % des terres agricoles totales au Québec

 

 

 M. OVERBEEK, PRÉSIDENT DE PGQ

 

Christian Overbeek, président des Producteurs de Grains du Québec est un personnage central dans le domaine des lobbys des pesticides au Québec, au même titre que le président de CropLife, M.Petelle, au Canada. Il est en effet au cœur des grands scandales des dernières années sur les pesticides, soit celui du CEROM et de l’affaire Louis Robert.

Suite aux enquêtes découlant de la crise survenue au CÉROM, le Protecteur du citoyen a déposé un rapport (9) où ses conclusions sont sans appel envers M. Overbeek. Par contre, ce dernier n’est jamais nommé : on le nomme seulement par ses titres. Mais qui était président du CEROM et président des Producteurs de Grains du Québec au même moment ? 

 

Christian Overbeek

Crédit photo : La Presse


Manque éthique

Dans son rapport, le Protecteur du citoyen reproche notamment à M. Overbeek un « conflit d’intérêts » et un « manquement grave » aux normes d’éthique et de déontologie. 


En effet, M. Overbeek:

  • Assumait des rôles à la fois au sein du CÉROM et auprès de l'organisme Producteurs de Grains du Québec (PGQ), une entité membre fondatrice du CÉROM;

  • Était inscrit au Registre des lobbyistes au sein d’un regroupement qui s’opposait à une nouvelle réglementation restreignant l’usage des pesticides, dont les néonicotinoïdes;

  • A affiché ouvertement son parti pris en faveur de l’utilisation des néonicotinoïdes, conformément à l’opposition du regroupement.

 

« En discréditant les recherches du CÉROM, le mis en cause s’est placé de façon récurrente en situation de conflit d’intérêts qui l’éloignait du sain accomplissement de ses deux mandats (CÉROM et PGQ). »


Suite à ce rapport dévastateur, Christian Overbeek fait l’objet d’une enquête du syndic de l’Ordre des agronomes du Québec (10).
 


Contre la science et les recherches issues du CEROM

Des recherches du CEROM avaient démontré l’inutilité pour les rendements de l’utilisation de semences enrobées de néonicotinoïdes notamment dans les cultures de soya et de maïs. Dans son rapport, on peut lire que la situation de M. Overbeek lui « conférait le pouvoir d’influencer les sujets de recherche. Il a toutefois outrepassé les limites de ce pouvoir en s’adressant directement au MAPAQ pour avoir une incidence sur certains sujets de recherche ».

M. Overbeek a affiché à plusieurs reprises et « ouvertement son parti prit en faveur de l’utilisation des néonicotinoïdes », « a utilisé différents forums pour défendre sa position, soit une séance du CA du CÉROM, les médias, une intervention officielle auprès du ministre du MAPAQ, des événements publics et des communiqués de presse diffusés par les PGQ. L’information qu’il a véhiculée a conduit des producteurs de grains à douter de la valeur des travaux du CÉROM ».

En mars 2022, M. Overbeek avait déjà eu accès à ce rapport d’une façon confidentielle. 
Ne reculant devant rien, il avait publiquement dit: « Dans la quasi-totalité des événements où il y a eu enquête, j’ai été blanchi. Que ce soit au niveau de l’ingérence du conseil d‘administration du CÉROM, de certains membres du conseil, que dans la réalisation du projet de recherche » (11). 

On n'a définitivement pas la même perception des couleurs !

 


Intimidation

Un document confidentiel interne au MAPAQ alléguait que des chercheurs du CÉROM avaient subi des tentatives d’intimidation de la part de membres du conseil d’administration et de son président, Christian Overbeek, « dans la diffusion et l’interprétation des résultats de projets de recherche » (12).

 


Contre des réglementations sur l’environnement

En 2019, le gouvernement québécois a instauré l’obligation de justification et de prescription pour l’utilisation des semences enrobées de néonicotinoïdes, ainsi que pour l’atrazine et le chlorpyrifos, entraînant une forte diminution de leurs ventes. Toutefois, dans le cas des semences enrobées de néonicotinoïdes, ces ventes ont été redirigées vers les diamides, des insecticides tout aussi préoccupants.

En 2023, souhaitant aller plus loin, le gouvernement a élargi cette exigence à l’ensemble des semences enrobées d’insecticides et a également entrepris de comptabiliser la vente des semences enrobées de fongicides.

C’est dans ce contexte que M. Overbeek a publié une tribune, de manière pour le moins provocatrice, intitulée Des politiques publiques fondées sur la science pour une gestion des pesticides plus durable (13). Un positionnement audacieux, surtout au regard des conclusions du Protecteur du citoyen, ce qui nous a conduits à y répondre par une autre lettre ouverte, rédigée conjointement avec Louis Robert (14).

Malheureusement, ce discours dépourvu de fondement scientifique a fini par infléchir la position du ministère de l’Environnement, sous la pression des demandes d’assouplissement formulées par l’UPA (15). Ainsi, si la prescription demeure obligatoire, la justification, elle, ne le sera pas pour l’ensemble des semences enrobées de pesticides, contrairement à ce qui était initialement prévu.

(1) Page web : UPA - À propos - Organisation, consulté en novembre 2024
(2) « L’éléphant dans la pièce que personne ne veut voir », Michel Saint-Pierre et Guy Debailleul (Institut Jean Garon), Le Devoir, le 31 mai 2024
(3) PDF de la Centrale des syndicats du Québec : FORMULE RAND : FOIRE AUX QUESTIONS (FAQ)
(4) Site internet : Assemblée générale du Québec, Projet de loi n° 41, Loi modifiant la Loi sur les agronomes, consulté en novembre 2024
(5) PDF : MÉMOIRE PRÉSENTÉ PAR L'UNION DES PRODUCTEURS AGRICOLES, à la commission de l'agriculture, des pêcheries, de l'énergie et des ressources naturelle, 26 juillet 2019, p. 50 
(6)Producteurs de grains du Québec, « Pour une première politique intégrée et responsable de soutien à la lutte aux ravageurs », Mémoire déposé à la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles, aout 2019, p. 23.
(7) « Carnet de voyage et projet de loi 41 », Ghislain Gervais, novembre 2022
(8) Institut de la statistique du Québec, Superficie ensemencée, superficie récoltée, rendement et production des grandes cultures par région administrative¹, Québec, 2007-2024
(9) Protecteur du citoyen, Rapport annuel 2022-23
(10) « L’Ordre des agronomes enquête sur Christian Overbeek », Sarah R. Champagne, Le Devoir, le 26 mars 2024
(11) « Christian Overbeek se dit blanchi par le Protecteur du citoyen », Martin Ménard, La Terre de chez nous, le 25 mars 2022
(12) « Cas grave de mauvaise gestion au MAPAQ », Daphné Cameron, La Presse, le 21 septembre 2023
(13) « Des politiques publiques fondées sur la science pour une gestion des pesticides plus durable », Christian Overbeek, le 7 septembre 2023
(14) « Pour une science indépendante et transparente », Thibault Rehn et Louis Robert, Le Droit, le 8 septembre 2023
(15) PDF : 20240613_Allegements