Les pesticido-sceptiques
Besoin de vulgarisateurs scientifiques
On a beaucoup entendu parler du glyphosate ces dernières semaines. Ce produit dit actif est contenu entre autres dans le fameux Roundup, produit initialement par la compagnie Monsanto. Les pesticides à base de glyphosate sont les plus vendus au Québec et dans le monde. Ils sont principalement utilisés sur les cultures génétiquement modifiées. Il n’est donc pas surprenant que Vigilance OGM s’intéresse à la recherche scientifique sur leurs impacts potentiels depuis de nombreuses années. Nous sommes heureux de voir que notre travail de sensibilisation semble porter ses fruits, aidé par une actualité florissante sur le sujet : Monsanto Papers, victoire de Dewayne Johnson, congédiement de l’agronome Louis Robert, influence du lobby des pesticides au Québec…
Ces dernières semaines, les principaux médias du Québec ont couvert le sujet du glyphosate sous différents angles. C’est surtout Radio-Canada qui, avec ses trois émissions spéciales sur le glyphosate, La Semaine verte, L’Épicerie et Enquête, a marqué les esprits des Québécois. Le débat autour des impacts du glyphosate sur notre santé et celle de notre environnement a fait réagir les pesticido-sceptiques!
C’est quoi, un pesticido-sceptique?
Comme son homologue le climatosceptique, le pesticido-sceptique est une personne qui met en doute les études indépendantes les plus répandues concernant les impacts néfastes des pesticides sur notre santé et celle de notre environnement.
La technique des sceptiques est de semer le doute afin de retarder le plus possible la sensibilisation des citoyens et donc des actions politiques positives qui pourraient découler de pressions citoyennes. Cette stratégie, malheureusement bien rodée, a été utilisée par les compagnies de tabac et d’amiante au siècle dernier. Dans le cas qui nous intéresse, le glyphosate, revenons sur le blogue de M. Cliche intitulé, L’œuvre de Monsanto, la part des médias, publié le 22 février. On aurait aussi pu parler de Vincent Geloso, chercheur associé à L’Institut économique de Montréal (IEDM) qui utilise plus ou moins les mêmes arguments que M. Cliche.
Mauvais choix d’intervenants
En réaction aux trois émissions de Radio-Canada, Jean-François Cliche se désole du piètre travail des journalistes et du fait que des collègues soient tombés dans le « panneau » de la désinformation. Avec un ton paternaliste, il insinue par exemple: « J’ignore quel genre de recherche la journaliste de La Semaine verte Catherine Mercier a faite au sujet de ses sources, et je ne lui prêterai pas d’intentions malveillantes ou idéologiques. » Les intervenants choisis par Radio-Canada ne seraient donc pas crédibles aux yeux de M. Cliche. Durant une bonne partie de son blogue, il va donc minutieusement taper sur les intervenants et non sur les messages qu’ils véhiculent.
Louise Vandelac et Robin Mesnage
M. Cliche s’attaque à deux professeurs qui sont intervenus à différents moments des émissions. Il commence par Louise Vandelac, dont il dit : « Le hic, c’est la toxicologie est totalement en-dehors de son champ d’expertise : elle est sociologue. Et au sujet des pesticides, elle est aussi une militante (anti) de longue date. » Effectivement, une recherche rapide révèle que Mme Vandelac a un doctorat en sociologie et milite depuis longtemps pour une science indépendante dans le domaine des pesticides et des OGM. Cependant, notre blogueur oublie de mentionner par la même occasion qu’elle est aussi professeure titulaire de l’Institut de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal et chercheuse au Centre d’études des interactions entre la santé et l’environnement (CINBIOSE). J’invite les lecteurs à consulter le site de l’UQAM pour en apprendre davantage sur les multiples réalisations de Mme Vandelac.
M. Cliche poursuit en attaquant la crédibilité de Robin Mesnage, professeur au département de génétique moléculaire et médicale du King’s College, à Londres. Selon lui, l’intervention de M. Mesnage « induit clairement le public en erreur », car c’est un chercheur biaisé. En effet, ses recherches sont axées sur les impacts des OGM et du glyphosate. Rien d’étonnant, sachant qu’il a fait sa thèse de doctorat sur ces deux sujets très liés. M. Cliche reconnait tout de même que M. Mesnage n’a pas « tort sur tout », avant de conclure « qu’il est trompeur de le présenter comme un expert impartial ».
Il oublie également de mentionner la démonstration par les documents internes de Monsanto, que la firme avait orchestré directement une campagne de diffamation envers les scientifiques indépendants produisant des résultats qui remettent en doute les recherches des industrielles.
Les oubliés de la critique
Dans sa critique de ces émissions, M. Cliche oublie de mentionner le scientifique en chef de Santé publique Ontario, John McLaughlin, qui, dans une des études auxquelles il a collaboré, montre un lien entre l’utilisation du glyphosate et un certain type de cancer chez les agriculteurs, le lymphome non hodgkinien. Spécialiste en épidémiologie, M. McLaughlin a aussi fait partie du Comité international de recherche sur le cancer de l’OMS, qui a étudié le glyphosate, et défend la classification de cette substance comme un cancérigène probable pour les humains.
Cette classification par l’OMS ne plait pas à M. Cliche, qui l’a déjà critiquée dans le passé, préférant mentionner que la majorité des agences de réglementation internationales, comme l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) au Canada ou la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis, concluent que le glyphosate n’est pas cancérigène.
Pourquoi une telle différence?
En résumé : l’ARLA et la FDA favorisent les conclusions des études menées par l’industrie qui minimisent ou nient les dangers du glyphosate. Ces études sont réalisées uniquement sur le glyphosate et non sur sa formulation commerciale, dont les effets peuvent être plus importants. De son côté, l’OMS base sa classification sur la littérature indépendante, qui démontre de plus en plus des dangers potentiels sur notre santé et celle de notre environnement. Cette situation qui semble échapper à M. Cliche est bien expliquée par Onil Samuel, conseiller scientifique sur les pesticides à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
M. Cliche ne peut pas annoncer que son analyse est basée sur la science si cette « science », comme les études menées par l’industrie, n’est pas transparente et revue par des pairs.
L’urgent besoin de journalistes scientifiques
M. Cliche s’étonne d’être le seul journaliste à avoir la capacité de comprendre réellement le sujet complexe que sont les pesticides. Mais d’où vient cette formidable capacité d’analyse de M. Cliche? Peut-être de ses études en journalisme et en sciences? Je suis donc allé sur le réseau professionnel bien connu LinkedIn. Surprise! M. Cliche n’a ni formation journalistique ni formation scientifique; seulement un bac en histoire.
Si on utilisait son argumentaire, on pourrait donc conclure : le hic avec M. Cliche, c’est que la toxicologie est totalement en dehors de son champ d’expertise – il est historien!
Cela démontre une chose : le Québec souffre d’une grave pénurie de journalistes scientifiques formés à vulgariser les tonnes d’informations que l’on trouve sur Internet et ailleurs. Augmenter leur nombre permettrait aussi d’avoir des journalistes scientifiques plus spécialisés, capables d’analyser ces sujets complexes, non seulement sous l’angle scientifique, mais aussi sous l’angle politique et sociétal, qui apporte un éclairage essentiel à toute analyse crédible.
Une chose est certaine, le travail des pesticido-sceptiques, sous l ‘apparence de l’impartialité offre un relaie utile à tous les arguments promus par les firmes agrochimiques qui tirent profits de la vente toujours plus grande de pesticides. Enfin, ils s’emploient à ne faire aucun lien entre l’effondrement massif de la biodiversité, les pesticides et l’agriculture industrielle.
Pour finir, M. Cliche s’abstient heureusement, à l’inverse de certains pesticido-sceptiques de faire croire que l’on peut boire du glyphosate ou s’en amuser, comme l’affirmait Monsanto lors de sa sortie.
Santé aux pesticido-sceptiques!
En bonus : Le principe de précaution selon M. Cliche
À la fin de son article, Jean-François Cliche cite une étude qui trouve valeur à ses yeux, concernant les impacts des pesticides. Il conclut :
« Alors oui, cette étude-là est un brin troublante, surtout pour les gens les plus exposés. Mais disons qu’il faut garder tout cela dans de justes proportions : ces résultats-là sont à considérer “avec prudence”, et aux doses infimes auxquelles sont exposés M. et Mme Tout-le-Monde, cela n’implique pas grand-chose jusqu’à preuve du contraire. »
Ainsi, il semble insinuer que cela ne servirait à rien de réduire les risques. Après tout quelques cancers de plus sont bien acceptables ?
Définition principe de précaution : Le principe de précaution a été édicté lors de la conférence sur la diversité biologique de Rio (1992) qui stipule que ''en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives, visant à prévenir la dégradation de l'environnement