2- Le cercle vicieux des pesticides
L’utilisation répandue des plantes tolérantes aux herbicides et celles résistantes aux insectes ont engendré une augmentation de l’utilisation des pesticides, et par conséquent le développement de résistances chez les insectes et les «mauvaises herbes». Les cultures tolérantes aux herbicides, particulièrement celles appelées «Roundup Ready», ont encouragé la pulvérisation répétée du même herbicide sur de vastes superficies de terres agricoles. Cela a ainsi diminué l’efficacité de certains pesticides et provoqué un usage plus intensif de ceux-ci. Cette stratégie, intégrée dans la logique du modèle agro-industriel, a généré un véritable cercle vicieux. En effet cette même stratégie a, par la suite, entraîné l’accroissement de l’utilisation des pesticides et l’apparition des « super mauvaises herbes » ainsi que la dépendance des agriculteur·rice·s face à l'industrie (Bayer, Syngenta, Monsanto...), en raison du brevetage des semences. Pour traiter ces résistances, il faut augmenter la fréquence d’application des herbicides, et, dans certains cas, il est même nécessaire d’utiliser d’autres herbicides plus spécifiques ou puissants.
Cinq espèces de mauvaises herbes résistantes aux herbicides sont actuellement répertoriées au Canada. Un sondage en ligne mené en 2013 a permis d’estimer que les mauvaises herbes résistantes au glyphosate poussaient sur plus d’un million d’acres de terres agricoles canadiennes. (1) Fin 2017, le Centre de recherche sur les grains (CÉROM) a détecté pour la première fois au Québec une herbe résistante au glyphosate : la moutarde des oiseaux.
La stratégie de l’industrie pour répondre à la résistance des «mauvaises herbes» consiste essentiellement à commercialiser de nouvelles cultures GM résistantes à d’autres herbicides, tels que le 2,4-D et le Dicamba. Cette méthode risque d'engendrer les mêmes problèmes que ceux observés avec la surutilisation du glyphosate et entraîner ainsi un plus grand usage du 2,4-D et du Dicamba. En 2012, le Canada a été le premier pays à approuver l’introduction des cultures tolérantes au 2,4-D.
«Malgré l’utilisation massive du glyphosate, un herbicide à large spectre conçu pour contrôler une grande variété de mauvaises herbes, l’usage d’autres herbicides n’est pas éliminé pour autant et ces derniers demeurent bien présents. En effet, ces produits sont souvent utilisés en combinaison avec le glyphosate. D’ailleurs, afin de limiter le développement de la résistance des mauvaises herbes au glyphosate, les fabricants conçoivent des formulations de mélanges commerciaux contenant un ou plusieurs autres herbicides avec un mode d’action différent ou recommandent des mélanges de matières actives différentes.» - MDDELCC (2)
Dow AgroSciences a créé le maïs Enlist, conçu pour résister à son herbicide Enlist Duo, qui est un mélange de glyphosate et de 2,4-D sous forme de sel de choline. Ce maïs est en vente au Québec depuis 2017. Quant au soya tolérant au dicamba de Monsanto, il est sur le marché québécois depuis 2016.
Les malherbologistes considèrent que les nouvelles cultures tolérantes aux herbicides n’auront qu’une utilité restreinte, car il existe déjà de nombreuses mauvaises herbes résistantes à ces anciens herbicides. Il existe seize espèces de mauvaises herbes résistantes au 2,4-D dans le monde (dont quatre aux États-Unis et deux au Canada) (3), et six résistantes au dicamba (dont deux aux États-Unis et deux au Canada). Selon les scientifiques canadiens Hugh Beckie et Linda Hall, « Les cultivars possédant des caractères empilés de tolérance aux herbicides (ex. glyphosate, glufosinate, dicamba ou 2,4-D) permettront une protection de courte durée contre les mauvaises herbes RH, mais perpétueront l’usage des intrants chimiques et le phénomène de sélection menant à l’émergence de mauvaises herbes capables de résister à plusieurs herbicides (4). » En 2012, le commissaire à l’environnement de l’Ontario a publié une analyse qui parvenait à la conclusion suivante : « Si ces nouvelles plantes GM sont approuvées au Canada, l’Ontario pourrait assister au cours des prochaines années à une augmentation des applications de 2,4-D dans les champs (5).
(1) ONE MILLION ACRES OF GLYPHOSATE RESISTANT WEEDS IN CANADA: STRATUS SURV. (en ligne)
(2) GIROUX, I. (2015). Présence de pesticides dans l’eau au Québec : Portrait et tendances dans les zones de maïs et de soya – 2011 à 2014, Québec, ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Direction du suivi de l’état de l’environnement, ISBN . 978-2-550-73603-5, 47 p. + 5 ann. (en ligne)
(3) Weedscience.org. 2014. Weeds Resistant to the herbicide 2,4-D. (en ligne)
(4) Beckie, Hugh J., and Linda M. Hall. 2014. Genetically-Modified Herbicide- Resistant (GMHR) Crops a Two-Edged Sword? An Americas Perspective on Development and Effect on Weed Management. Crop Protection 66 (December): 40–45.
(5) Environmental Commissioner of Ontario. 2012. Revenge of the Weeds. Eco Issues. October.