Semer les graines
Pour un lendemain de crise plus résilient
En ces temps de pandémie mondiale et de quarantaine, les termes de résilience (capacité à absorber une perturbation) et de souveraineté sont souvent abordés. Les organismes génétiquement modifiés (OGM) en agriculture sont à l’antipode de la résilience. En effet, ces produits renforcent le contrôle corporatif, empêchent la réutilisation de semences à la ferme, réduisent la biodiversité et le choix des variétés, favorisent la monoculture notamment en favorisant l’utilisation d’herbicides, et ne bénéficient qu’à enrichir les plus riches plutôt que de réduire les écarts.
À la base de toute agriculture, il y a les semences.
Il n’y a pas de doute qu’une semence de qualité aide à avoir une production saine. Les sacs de semences peuvent avoir diverses qualités : ils peuvent être exempts de graines de mauvaises herbes, avoir un bon taux de germination, une certaine uniformité (pour bien passer dans le planteur) et aussi être fidèle au type (le plant qui germera aura des caractéristiques connues d’avance). Malgré l’importance primordiale des semences, les discussions sur la souveraineté alimentaire n’abordent pas ou rarement l’autonomie semencière du Québec.
La production de semences
Il est clair que nous devons améliorer la gestion des semences au Québec, afin d’améliorer notre résilience. Pour y arriver, nous devrions d’abord augmenter le nombre de semenciers indépendants, surtout en grande culture. Au niveau mondial, seulement 3 joueurs (Bayer, Chemchina, DowDuPont) se partagent plus de 70% du marché (1). La situation au Québec est similaire, il y a relativement peu de semenciers indépendants. La majorité produisent une ou deux cultures. Cependant ils sont regroupés, pour la plupart, sous SeCan. Cet OBNL est un distributeur de semences pancanadien, l’équivalent d’un « panier bleu » des semences en grande culture. Il y toutefois un bémol à cette organisation - certaines de leurs variétés de soya sont génétiquement modifiées et il n’offre ni canola, ni maïs. Le manque de joueurs indépendants nuit à l’indépendance des marchés et éloignent les compagnies des vrais besoins de nos agriculteurs et augmente le prix des semences.
Un second manque important au Québec est l’absence totale de producteurs de semences de maïs (grain et fourrager), de canola et des diverses espèces composant le foin. Autrement dit, ces cultures seraient impossibles sans approvisionnements externes. Il faut rappeler que le maïs est la principale culture céréalière au Québec pour environ 380 000 ha (2). Cette absence de semencier se reflète aussi au Canada : en 2019, seulement 7 198 ha ont été cultivés pour des semences de maïs. En comparaison, il y a eu 128 791 ha pour la semence de soya la même année (3). Il semblerait qu’un seul producteur de semences de maïs vraiment indépendant existe dans l’Est du Canada : De Dells Seed (spécialisé dans le maïs sans OGM!).
Au niveau canadien, la totalité des semences de maïs sont produites en Ontario, principalement dans le Sud-Ouest, près de la ceinture de maïs des États-Unis. Cette région est très prisée pour les semenciers de maïs grâce à son climat chaud qui permet de produire les hybrides allant jusqu’aux zones les plus froides, et grâce à la présence d’infrastructures spécialisées. La proximité avec la ceinture de maïs est aussi un fort avantage pour le marché d’exportation (4).
L’absence de semenciers de maïs au Québec a déjà posé des problèmes lorsque notre réglementation a changé pour limiter l’usage de semences enrobées aux néonicotinoïdes. Deux ans après le changement de la réglementation, il y a encore des défis logistiques pour que nos producteurs puissent semer du maïs sans néonics, souligne Louis Robert (5).
La situation est tout aussi problématique pour le canola, une culture importante au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en Abitibi et dans le Bas-Saint-Laurent.
Il est tout de même surprenant que pour 2 des 3 cultures GM au Québec, on ne produise aucune semence. En ces temps où la résilience, l’autonomie des systèmes et l’achat local sont fortement encouragés, nos agriculteurs devraient pouvoir encourager les semenciers locaux - et principalement les variétés développées au Canada. Pour les autres cultures céréalières (soya, blé, avoine, orge), le Québec serait un exportateur net de semences certifiées (2).
La protection des ressources
Bien que des organismes gouvernementaux soient en charge de s’assurer de la qualité des semences, la structure pour préserver la diversité génétique des cultures est très faible. Selon la FAO, nous avons perdu 75% de la diversité génétique des cultures durant le XXème siècle. Cette perte est en bonne partie attribuable à l’industrialisation de l’agriculture et l’urbanisation (6). C’est pourtant cette diversité de gènes qui est nécessaire pour être moins vulnérable et s’adapter aux changements climatiques. Au Canada, elle n’est protégée que par un seul organisme : « Ressource phylogénétique du Canada à Saskatoon » ! On y conserve environ 2% de la diversité génétique mondiale des cultures. Il faut cependant plusieurs systèmes pour vraiment assurer la résilience d’un système. Pourquoi ne préserverions-nous pas notre patrimoine génétique aussi dans l’Est du Canada, ou encore au Québec ? Actuellement, la protection des semences est plus largement assumée par les initiatives communautaires : un déséquilibre qui montre bien que nous sommes loin du soutien que nous devrions porté à cet enjeu. Saluons et encourageons ces initiatives qui font un travail primordial, comme celle de la famille Bauta ou encore de la Nation Onondaga de l’État de New-York.
Un système résilient se doit d’avoir plusieurs nœuds. Pour les semences cela signifie d’abord plusieurs joueurs, mais aussi une distribution territoriale des semenciers. La semaine dernière, La Terre de chez nous (7) rapportait le cas d’un distributeur de semences de l’Abitibi qui avait de la misère à trouver du transport pour ses semences qui venaient du sud de la province. Pourquoi n’y-a-t-il pas de producteurs de semences en Abitibi ? Est-ce que d’autres régions agricoles peuvent être touchée par manque de transport ? Il y a un besoin criant de semenciers indépendants pour les grandes cultures, et ce, dans toutes les régions du Québec.
La situation des grandes cultures
Au Québec, en grande culture, il n’est pas envisageable - pour l’instant - de semer les graines produites à la ferme. Pourquoi ? À cause des nouvelles techniques de sélection végétale, aux brevets sur les gènes d’OGM et à l’assurance récolte qui n’est alors plus « disponible » si l’on utilise ses propres semences. C’est pourtant les techniques d’autosemences qui ont permis à l'agriculture d’évoluer de la Préhistoire jusqu’au début du XXème siècle. Malgré le rôle cruciale de ces semences fermières pour la survie de l’humanité, ces pratiques ne sont plus utilisées en grande culture.
Beaucoup de plantes sont cultivées à partir d’hybride F1. Un hybride est obtenu par le croisement de deux lignées pures. L’avantage est ainsi d’obtenir une culture aux caractères stables plus rapidement qu’en travaillant avec des lignées à pollinisation ouverte. Les hybrides sont utilisés en agriculture depuis le milieu du XXème siècle. L’inconvénient de l’utilisation d’hybride arrive en deuxième génération : les plants deviennent alors tous différents - ce qui est improductif dans une agriculture industrielle.
Il y a aussi diverses techniques commerciales pour empêcher un producteur de resemer une deuxième génération de graines. Dans le cas des OGM, les gènes sont brevetés et « les frais d’utilisation technologique » doivent être payés au propriétaire du gène peu importe la source de la semence. Le cas le plus fameux de cette controverse est Monsanto contre Schmeiser en 1998 : Monsanto a accusé un agriculteur du Saskatchewan, Percy Schmeiser d’avoir délibérément reproduit des semences de canola qui contenaient le gène breveté par Monsanto.
Toutefois, le frein le plus important pour l’utilisation de semences fermières, en grande culture, est la Financière agricole du Québec (FADQ). La FADQ oblige l’utilisation de semences certifiées pour avoir accès à « l’assurance récolte », une pratique qui s'est depuis installée dans les moeurs et qui est exigée par les créanciers. Il est vrai que les semences certifiées ont des avantages - elles viennent avec une certaine garantie de qualité. Cependant, en considérant qu’il est possible de déterminer le taux de germination d’un lot de semences fermières, de traiter les semences contre les maladies et de retirer les semences de mauvaises herbes, il pourrait être envisageable de prévoir un second système d’assurance récolte pour les semences fermières. L’objectif étant de rendre les fermes autonomes.
Durant cette crise du COVID19 , le gouvernement Legault n’a jamais autant parlé d’agriculture (panier bleu, main d'oeuvre, etc.) et semble comprendre l’importance stratégique d’avoir un modèle agricole résilient. Pour devenir résilient, commençons par le premier maillon de la chaîne alimentaire : la semence. Produisons-la sur tout le territoire et par une multitude de semenciers ! Encourageons les semences fermières pour des semences locales, de qualité, plus résilientes face aux changements climatiques... et bien sûr, sans OGM.