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L’épisode cinq, c’est l’occasion de partir à la rencontre du royaume du sol et de sa composition, de l’agriculture et d’alternatives aux pesticides. Véronique Bouchard nous partage les secrets d’une ferme biologique maraîchère diversifiée et rentable, qui nourrit plus de 800 familles de sa région.

 

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L'invitée

Véronique Bouchard est agronome, productrice maraîchère et propriétaire de la ferme biologique Aux petits oignons. Cette entreprise maraichère sur petites surfaces est située à Mont-Tremblant, dans la région des Laurentides. C’est une des fermes biologiques les plus renommées du Québec, et reconnues à l’international. Elle s’implique au Réseau des fermiers de famille de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ) et elle a déjà siégé sur plusieurs conseils d’administration d’organisation agricoles et locales.

 

 

La
retranscription
 

 


Cette transcription n’est pas à l’abri de quelques fautes d’orthographe. Étant à l’origine audio, la lecture peut aussi s’avérer moins fluide. Nous avons fait le choix de transcrire la section « scientifique » de la discussion uniquement.
(Pour l’ensemble du contenu, nous vous invitons à écouter l’épisode au complet).

 

 

ÉMILIE -  [00:09:31] Comment on peut définir le sol? Quels sont les différents types de sol qu'on retrouve?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Le sol, je le perçois comme un écosystème vraiment complexe. Je trouvais ça fascinant quand j'ai fait mes études en agronomie, de réaliser à quel point on connaît encore très peu de choses du sol. Puis c'est quelque chose qui m'interpelle beaucoup dans le métier que je fais, cette part-là d'un peu de complexité qui nous échappe. Je trouve que ça nous amène une bonne dose d'humilité. Je pense que les problèmes auxquels on fait face, de pollution, viennent de cette volonté-là de vouloir trop réduire et dominer la nature alors que la nature est extrêmement complexe. Je pense qu'elle va toujours nous échapper et qu’il faut juste apprendre à la respecter puis à travailler aussi avec cette beauté complexe là. Au Québec, on a différents types de sols, mais en règle générale, on a des sols majoritairement forestiers. Il y a à peine 2% des terres du Québec qui sont dédiées à l'agriculture. Puis dans ces terres-là, il y a différentes qualités de sol. On a un peu de terre noire dans la région, surtout de la Montérégie, mais on en entend parler de plus en plus à quel point ces terres-là sont en train de se dégrader. C'est une ressource très précieuse, le sol. Il prend des milliers d'années à se former puis on peut le détruire seulement en quelques décennies. Donc pour moi le sol c'est un écosystème complexe, magique et très précieux dont on devrait vraiment prendre soin parce que la survie de tout le vivant dépend de la santé du sol.

 

ÉMILIE -  [00:11:14] Tu parlais de terre et de sol noir, pourquoi ces termes-là?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Les terres noires sont des terres qui sont très riches en matières organiques, donc ce sont des écosystèmes qui ont accumulé de la matière organique, et qui peuvent nourrir des cultures comme les légumes. Mais ces terres-là peuvent aussi se dégrader si on n'en prend pas soin et si on n'a pas un couvert végétal pour les protéger. Avec l'érosion éolienne, on perd de ce sol-là aussi et avec des pratiques qui détruisent les structures de sol, on en perd à chaque année.

 

ÉMILIE - Comment qualifierais-tu le sol qu'on a ici à la ferme Aux petits oignons?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Ici, on a un sablonneux, donc c'est un sol très léger, des anciens dépôts de rivière. C'est un sol qui est très pratique pour la culture maraîchère, surtout dans le contexte où on est quand même situé assez au nord. C'est un sol qui va se réchauffer bien et rapidement parce que des sols plus lourds, et j'ai déjà cultivé dans des sols plus lourds dans les lentilles, c'était très difficile et très long avant que le sol se réchauffe. Comme notre saison est très courte, le fait d'avoir un sol léger, c'est très pratique. Quand on a aussi des étés très pluvieux, c'est pratique d'avoir un sol léger comme ça. On va avoir un bon drainage et moins de maladies. Nous, on a la chance d’être situé près d'une rivière, donc s’il manque d'eau, on a l'eau de la rivière pour irriguer nos cultures. Je me sens choyée d'avoir ce type de sol-là à Mont-Tremblant.

 

ÉMILIE -  [00:12:43] Est-ce que ça marche bien pour faire pousser les légumes ici? Quand les sols sont plus lourds, qu’est-ce qui dans la composition du sol fait que c'est plus lourd et que ça peut-être plus dur en agriculture?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - C'est la teneur en argile. En fait, on classe les sols en fonction de la quantité de sable, de limon et d'argile. Plus il y a d'argile, plus on va dire que le sol est lourd, plus il y a de sable, plus on va dire que le sol est léger. Mais dépendamment d'une culture, dépendamment d'une région, les sols peuvent être plus propices à certaines cultures. Les méthodes culturales qu'on va utiliser vont vraiment dépendre justement du climat, de la culture, de la texture de sol. C'est ça qui est fascinant aussi en agriculture, c'est qu'il n'y a pas une recette. Chaque sol, chaque écosystème est à découvrir et on apprend à travailler et à développer nos propres techniques en fonction de notre écosystème spécifique dont le sol fait partie.

 

ÉMILIE - [00:13:47] Qu'est-ce qu'on va retrouver comme écosystème et organismes dans le sol ? 

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Dans le sol, on va retrouver une matière minérale qui est issue de la roche-mer. On va retrouver aussi de la matière organique en décomposition et se nourrissant de cette matière organique en décomposition, il va y avoir des organismes fongiques. Souvent, surtout si on a de la matière de bois, de la lignine, les fongiques sont les seuls à pouvoir dégrader la lignine. On va avoir des bactéries, évidemment. Et quand on dit bactéries, souvent les gens pensent que c'est négatif, mais il y a de très bonnes bactéries qui participent à la santé du sol, et plein d'autres organismes vivants. Souvent on pense aux vers de terre, aux arthropodes, il y a des acariens, il y a des nématodes, puis il y a des nématodes qui sont des pathogènes de culture, mais il y a des nématodes aussi qui sont des bons organismes qu'on désire dans notre sol. Donc, il y a toute une vie du sol, des milliards d'organismes vivants dans une poignée de sol. C'est très vaste comme biodiversité. 

 

ÉMILIE - C'est quoi les caractéristiques d'un sol en bonne santé?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - C'est un sol qui a une bonne structure. Tout à l'heure, on parlait de la texture, qu'il y a les particules de sol, argile, limon, sable. La structure, c'est comment ces particules-là vont se former ensemble pour faire des agrégats qui vont créer une surface qui est poreuse, qui va permettre à l'eau de s'infiltrer, à l'air de rentrer dans le sol, parce que les organismes vivants ont besoin d'eau, ont besoin d'air. Donc un sol qui n'a pas une bonne texture va être compacté, donc l'eau va mal s'infiltrer, il n'y aura pas d'air pour la vie du sol, on va avoir de l'anaérobie, qui n'est pas quelque chose qu'on souhaite dans un sol. On va avoir des mauvaises bactéries, les bactéries anaérobies souvent qui ne sont pas propices à l'agriculture. Donc un sol en santé, c'est un sol qui a une belle structure, qui est aéré, qui a plein de vie. Et un sol en santé va être capable de nourrir aussi des plantes et de contribuer à leur santé. Souvent j'aime bien faire le parallèle avec l'allaitement maternel. On a essayé de remplacer le lait maternel par du lait maternisé comme une formulation créée de toute pièce. On n'a jamais été capable de remplacer le lait maternel. Le sol c'est un peu la même chose. Dans ces agrégats-là de sol, la plante communique avec le sol pour avoir les éléments nutritifs dont elle a besoin, une sorte de dialogue qui se fait d'échanges chimiques, d'ions avec le sol. Puis ça va faire en sorte que la plante va avoir ce dont elle a besoin, l'élément nutritif. Puis les autres éléments nutritifs vont être gardés par le sol jusqu'à ce que la plante en ait besoin. Donc un sol en santé va pouvoir nourrir une plante puis contribuer à sa santé. Avec les engrais chimiques, on a pensé qu'on pourrait remplacer cette capacité-là du sol à nourrir la plante, comme avec le complexe argilo-humique. Finalement, on se rend compte que les engrais chimiques acidifient le sol, appauvrissent la vie du sol et ne font pas nécessairement, ne réussissent pas à avoir des plantes en santé. Les plantes qui sont nourries aux engrais chimiques, ce sont des plantes qui vont être plus sensibles aux maladies, plus sensibles aux insectes aussi. Donc, c'est des plantes qui sont forcément moins en santé. Donc, en agriculture biologique, on a toujours eu cette philosophie-là de nourrir le sol, puis le sol, par la suite, nourrit la plante, et un sol en santé va produire des plantes en santé.

 

 

ÉMILIE -  [00:17:23] En quoi l'utilisation des pesticides peut venir affecter la santé des sols?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Le terme pesticide englobe les insecticides, les fongicides, puis les herbicides. En fait, c'est ce qui tue. Ce qui tue l'insecte, ce qui tue le fongique, ce qui tue les herbes, donc les plantes. Donc forcément, on va aussi affecter d'autres organismes vivants. Si on met des fongicides, on va peut-être affecter aussi tous ces organismes fongiques qui sont bénéfiques dans le sol. On va détruire des plantes qui ne sont pas nécessairement nuisibles, qui ont des rôles. Et puis, ces pesticides-là, ce sont des produits qu'on a créés en laboratoire et qui vont faire des réactions chimiques. Le sol est un organisme extrêmement complexe. Il y a plein de réactions chimiques, physiques, biologiques qui se produisent dans ce sol-là. Donc, avec le temps, on a réalisé qu'on étudiait la toxicité d'un pesticide isolé, mais ce pesticide-là, quand on le met dans l'environnement et qu'il s'associe à de la matière organique ou qui est transformée par la vie du sol, peut prendre différentes formes, qui peuvent empoisonner, finalement, tout le vivant dans toute la chaîne avec de la bioaccumulation. Et puis, quand ça se ramasse dans les rivières aussi, on contamine tous nos cours d'eau, c'est l'eau qu'on consomme aussi.

 

ÉMILIE - [00:18:40] Alors pourquoi on utilise des pesticides finalement?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Il y a une question de facilité, une question économique aussi. Ici, les mauvaises herbes, on les enlève à la main sur le rang ou on les enlève avec des outils. Alors qu'un passage avec un herbicide, c'est beaucoup plus rapide, ça coûte beaucoup moins cher en main d'œuvre. On a peur aussi que les insectes détruisent les cultures. Et puis bon, on va vers des monocultures, des très grandes superficies d'un seul légume avec toute la chaîne de distribution qui s'est développée avec les grandes chaînes d'alimentation ultra concentrées. On veut transporter des légumes dans une vanne qui va fournir un centre d'approvisionnement, qui va fournir des grandes chaînes d'épicerie. Donc forcément, ça prend des fermes qui produisent des hectares et des hectares, des fois c'est des centaines d'hectares d'une seule culture. Forcément, ce type d'agriculture-là va être plus sujette à se faire attaquer par des insectes, par des maladies, d'où l'arsenal chimique qui vient avec. Mais tout ça pourquoi? Pour essayer de diminuer toujours le coût de l'alimentation. Si on regarde dans les 40 dernières années au Québec, la part du budget alloué à l'alimentation a diminué de moitié pour libérer du budget. Pourquoi? Pour acheter d'autres biens qui ne sont peut-être pas essentiels. Donc on fait beaucoup d'économies sur le dos de l'agriculture pour stimuler une autre forme d'économie. Mais tout ça, ça a un coût qui va nous rattraper plus tard parce qu'on est en train de détruire notre garde-manger. Finalement, on détruit notre sol, on empoisonne nos sols, nos rivières, on développe des maladies. Donc c'est illusoire de penser qu'on fait une économie finalement. On va juste payer autrement plus tard. Peut-être pas nous, peut-être la prochaine génération. Mais c'est certain que c'est une question de calcul à courte vue, selon moi.

 

ÉMILIE -  [00:20:32] Est-ce qu'elle est obligatoire cette guerre-là contre les mauvaises herbes? Est-ce que ces mauvaises herbes ont un rôle?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Moi je regarde ici, un sol à nu, la nature va coloniser ça, un sol à nu. Les mauvaises herbes, elles jouent ce rôle-là, d'occuper l'espace, de venir couvrir le sol. Parce qu'un sol à nu, j'en parlais tout à l'heure de l'érosion éolienne, on peut le perdre, ce sol-là est une ressource précieuse. Donc, ces mauvaises herbes, qu'est-ce qu'elles nous disent? Elles nous disent que le sol doit être couvert. Si on a aussi un sol très riche en azote, avec une fertilisation pas nécessairement adaptée, il va y avoir des plantes très efficaces pour venir pomper cet azote-là, pour éviter qu'on le perde. Donc, il faut apprendre de ces plantes-là. Puis, c'est ça qu'on fait en agriculture biologique. On fait des engrais verts, des cultures de couverture, des cultures intercalaires. C'est sûr qu'on ne peut pas le faire dans toutes les cultures, mais il y a des moments de l'année où on va essayer, dès qu'une culture est terminée, de mettre d'autres plantes pour utiliser l'espace. Sinon, ce sont les mauvaises herbes qui vont s'y installer. Donc on choisit un peu les plantes qui vont occuper l'espace, on essaie d'avoir le moins possible de sol à nu pour garder cette ressource précieuse-là, et continuer à nourrir le sol pour qu'il puisse se régénérer, à produire pour encore plusieurs générations.

 

ÉMILIE -  Est-ce que le fait de garder des sols qui ne sont pas nus, c'est pour garder une certaine humidité dans le sol?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Certainement, les plantes jouent un rôle essentiel pour garder l'eau du sol. En fait, les plantes jouent plein de rôles. Le fait d'avoir une culture de couverture va éviter d'avoir de l'évaporation directement du sol vers l'air. Il va y avoir une certaine évapotranspiration par les plantes. Mais aussi, les plantes vont garder la vie du sol active. On voit dans nos cultures de couverture au printemps, là où il y a de la végétation, le sol va se dégeler en premier parce qu'il y a une vie du sol et la vie du sol crée une chaleur qui fait en sorte que la neige fond à ces endroits-là, un peu comme on voit autour des arbres au printemps. La neige fond autour des arbres parce que les plantes, les arbres, qui sont en vie aussi, dégagent une certaine chaleur et toute la vie qui est associée à ces plantes-là dégage la chaleur. 

 

 

ÉMILIE -  [00:22:47] Comment gères-tu ça pour être en agriculture biologique? C'est quoi les alternatives que tu as trouvées?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Il y a plusieurs techniques qu'on utilise. Je parlais tout à l'heure des pesticides, herbicides, fongicides, insecticides. C'est certain que tout d'abord on y va avec une approche préventive. La santé du sol, la santé des plantes va faire en sorte que les plantes vont être moins malades, vont être moins attaquées par les insectes. Donc une approche aussi de fertiliser avec des composts va faire en sorte que les plantes vont être moins malades, vont être moins alléchantes et moins attaquées par les insectes. Le fait d'avoir une biodiversité et une très grande diversité, je parlais tout à l'heure des produits qu'on retrouve à l'épicerie, une carotte d'épicerie vient sûrement d'une ferme de centaines d'hectares de carottes. Nous, la carotte, c'est 1 légume sur 60 qu'on fait sur 4 hectares. Donc, ça donne une idée un peu de la biodiversité comparée à ce qu'on retrouve dans l'agro-industrie à grande échelle. Pour le contrôle des mauvaises herbes, forcément il faut des fois aller enlever les mauvaises herbes à quatre pattes. On en fait une partie aussi manuellement avec des outils, une partie de contrôle au tracteur, on a différentes techniques aussi, des fois on met des toiles, on appelle ça de l'occultation, donc les mauvaises herbes germent, elles meurent parce qu'elles n'ont pas de lumière, on enlève la toile, on sème, puis là on réussit à avoir des parcelles assez propres pour implanter nos cultures. Pour ce qui est des insectes, on utilise aussi beaucoup de couvertures, des bâches et des filets qu'on doit mettre sur nos cultures. C'est beaucoup de main-d'œuvre, il faut mettre des arceaux, mettre les bâches, les enlever à chaque fois qu'on veut un cercler ou désherber ou pour récolter, on remet ça. Donc produire en bio coûte plus cher parce qu'il y a beaucoup plus de main d'œuvre. Mais on peut voir aussi le côté positif de la création d'emplois et des retombées économiques dans nos régions.

 

ÉMILIE -  [00:24:45] Est-ce que d'être en agriculture biologique, ça signifie de ne pas utiliser de pesticides?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - En fait, on utilise ce qu'on appelle les pesticides biologiques. Puis là, ça englobe vraiment tout un paquet de substances. Mais la différence entre les pesticides chimiques et les pesticides bio, c'est que les pesticides chimiques sont créés en laboratoire, ce sont des molécules chimiques. Alors que souvent ça va être aussi des molécules qui sont créées de façon de synthèse, qui ont été observées dans la nature. Puis dans ce qu'on appelle des pesticides bio, ce sont des produits extraits d'une plante ou d'un champignon, ça peut être des toxines. Et dans tout ce groupe-là, il y a des produits que moi je ne veux pas utiliser parce que je trouve qu'ils sont à trop large aspect ou qui ont un rôle vraiment insecticide, de tuer. Mais on utilise d'autres produits qui sont sous cette appellation-là, comme par exemple des fongicides bio, mais qui sont en fait des bonnes bactéries ou des bons organismes fongiques qu'on va appliquer un peu comme des probiotiques pour renforcer les plantes. En fait, c'est un peu pour les protéger : ces organismes-là, bactériens ou fongiques, vont utiliser une niche écologique qui va être utilisée alors que les pathogènes ne pourront pas venir attaquer la plante parce qu'il y a déjà un autre fongique ou un autre agent bactérien bénéfique qui occupe l'espace. Donc, il y a toute une diversité de produits, mais c'est certain que tous les produits issus de la nature vont être normalement des produits qui se dégradent très rapidement, contrairement aux produits de synthèse qui peuvent rester très longtemps dans la nature, se bioaccumuler. Rachel Carlson en parle beaucoup aussi dans son livre, de ces premières générations de pesticides qu'on retrouve encore dans l'environnement.

 

ÉMILIE -  [00:26:29] On met combien de temps pour obtenir la certification biologique?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Quand on fait une transition, si c'était une terre qui était cultivée avec des produits chimiques, il faut attendre une transition de trois ans, alors que si la terre n'avait pas reçu de produits chimiques dans les trois dernières années, ça prend un an pour obtenir la certification. La première année, on est en pré-certification. Donc pour monter tous nos registres, parce qu'il faut aussi tenir des registres pour pouvoir prouver ce que l’on fait, et tout l'enjeu de traçabilité. Puis après ça, la deuxième année, quand on est en bio, on peut obtenir la certification. 

 

ÉMILIE - Est-ce que ça peut être compliqué de passer d'une ferme conventionnelle à une ferme biologique?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Théoriquement non, mais j'aime toujours rappeler qu'il existe tout un large spectre dans ce qu'on appelle le conventionnel et ce qu'on appelle le biologique. Ce qu'on appelle le conventionnel, c'est l'agriculture qui utilise les engrais chimiques et les pesticides de synthèse. Puis ce qu'on appelle le bio finalement, c'est l'agriculture qui n'utilise pas ces produits de synthèse. Mais dans les deux formes d'agriculture, il y a moyen de se rapprocher de l'un et de l'autre. Dans un sens, il y a des producteurs qu'on dit conventionnels qui ont des pratiques très écologiques, qui vont faire des engrais verts, de très bonnes rotations de culture, qui dans les productions animales vont avoir une approche de santé préventive. Donc ces fermes-là, c'est plus facile de faire la transition. Moi je pense que c'est beaucoup dans une approche aussi philosophique de l'agriculture. Est-ce qu'on est dans le préventif ou on est dans le curatif? Dans le même ordre d'idée, il y a maintenant une agriculture certifiée biologique, mais de cultures, monocultures à grande superficie, des centaines d'hectares, finalement qui ne font que remplacer des produits de synthèse par des produits homologués en bio, mais qui n'ont pas cette même approche-là de santé du sol, d'approche préventive, de biodiversité et malheureusement, le consommateur souvent ne fait pas la distinction quand il arrive à l'épicerie, ah c'est un produit bio, mais si c'est un produit bio, grande échelle, importé, produit dans un autre pays où les normes ont sans cesse été allégées pour permettre la grande industrie du bio de s'implanter. Il faut faire attention à comment on caractérise l'agriculture. Mais pour moi, la seule agriculture qui fait du sens, c'est pas rien qu'elle soit bio, c'est qu'elle soit diversifiée avec une approche préventive, de proximité aussi. Pour moi ça ne fait aucun sens du bio qui doit parcourir des milliers de kilomètres. C'est une question complexe. 

 

 

ÉMILIE - [00:29:19] C'est quoi le rôle des agronomes vis-à-vis des agriculteurs et des agricultrices?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Ils ont un rôle normalement de conseillers, ils doivent accompagner les producteurs à avoir les meilleures pratiques possibles, autant pour maximiser la production mais aussi pour la sécurité du public. C'est sûr qu'au Québec, il y a quelque chose qui est assez gênant. Moi, quand j'ai fait mes études en agronomie, c'était quelque chose que je ne savais pas avant de commencer mes études en agronomie : un agronome peut à la fois donner une recommandation et vendre des pesticides. Ils peuvent travailler pour une compagnie qui vend des pesticides. Moi, ça m'avait outré, puis c'est quelque chose qui se parle dans le domaine de l'agronomie depuis des années. Il y a eu Louis Robert qui a été un lanceur d'alerte. Il y a peut-être quelque chose qui s'en va vers un changement des réglementations, mais la population était peut-être moins au courant de ces enjeux-là : c'est comme si le médecin nous vendait les médicaments ! Aujourd’hui, le médecin qui nous prescrit les médicaments ne nous vend pas les médicaments. Ça devrait selon moi être la même chose là au niveau des pesticides et même des engrais chimiques. La recommandation devrait être non liée, c'est pour ça qu'on parle dans le domaine des agronomes liés, des agronomes non liés. Il y a des agronomes qui travaillent par exemple dans des clubs agroenvironnementaux qui sont des agronomes qui ne vendent rien. Ils font des recommandations, ils sont indépendants. Puis il y a des agronomes aussi qui travaillent pour des compagnies qui vont faire des recommandations d'alimentation pour les vaches puis qui vendent la moulée, qui vont faire des recommandations de pesticides et qui vendent les pesticides : ils travaillent pour la même compagnie.

 

 

ÉMILIE - [00:31:01] À la Ferme aux petits oignons, tu as vraiment démontré qu'on peut produire en grande quantité et de manière respectueuse l'environnement et de l'humain. C'est quoi tes secrets?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - On a grandi très progressivement. La Ferme aux petits oignons, c'est une entreprise qui a démarré de rien. La première année, on faisait 5 paniers, la deuxième année 15, puis on a monté comme ça, à peu près à un rythme de 20% d'augmentation par année, jusqu'à atteindre 650 abonnements de paniers, de familles qu'on fournit à chaque semaine durant l'été, avant la pandémie. Puis durant la pandémie, on a réussi à monter à 950 familles en vendant moins au marché. C'était presque la même production, mais plus de paniers et moins de marchés. Puis, cette progression-là, elle a été possible parce qu'à l'époque, quand j'ai commencé à faire de l'agriculture, on sensibilisait les gens, mais il n'y avait pas d'alternative. Pour les gens, il y avait juste l'épicerie. Donc, moi, j'ai été interpellée par cette mission de fournir cette alternative-là, de faire découvrir l'agriculture soutenue par la communauté, le concept des paniers bio qui est une façon extraordinaire de s'alimenter, que c'est un mode d'approvisionnement qui rend possible cette agriculture diversifiée à petite échelle. Donc ce qui a fait qu'on a pu se développer de cette façon-là puis produire autant sur une si petite superficie, c'est qu'on a pu adopter les meilleures techniques parce qu'on fait partie d'un réseau solidaire vraiment incroyable et unique au monde, le réseau des fermiers de famille et aussi la coopérative pour l'agriculture de proximité écologique, qui est finalement la même gang de fermiers, est un groupe vraiment extraordinaire. Quand on a commencé à faire de l'agriculture, il y avait des fermiers et fermières expérimentés qui nous ont partagé tout leur savoir. Et dans ces rencontres-là, du réseau des fermiers de famille ou du CAPÉ, il y a une énorme générosité et partage. On est vraiment dans une culture de la collaboration et non pas de la compétition. Si on va dans le reste du Canada, on va aux États-Unis, on va ailleurs dans le monde. Les producteurs maraîchers ne livrent pas leurs secrets parce qu'ils se sentent en compétition les uns avec les autres. Avec le réseau des fermiers de famille, ce qu'on a réussi à créer, c'est qu'on a structuré notre offre de panier en faisant attention de ne pas se compétitionner les uns les autres pour ne pas se nuire. Donc on améliore l'efficacité de nos fermes. Aussi, ça bénéficie aux consommateurs parce qu'on arrive à produire de façon plus efficace à moindre coût. Puis on arrive aussi à se partager les mêmes techniques, donc à produire davantage. Donc pour moi, vraiment, le succès de la ferme vient de cette communauté-là extraordinaire de maraîchers bio-diversifiés au Québec qui partagent tous leurs secrets. Ça vient aussi de l'implication de tous les gens qui sont passés par la Ferme aux petits oignons. Souvent, c'est moi qui suis interviewée, mais j'ai une équipe extraordinaire. On est une vingtaine à travailler sur la ferme en été. Puis chaque personne apporte sa passion, son sens de l'observation, ses idées. Puis toutes ces personnes-là qui sont passées par la ferme ont amené leurs idées d'amélioration qui fait qu'on est plus efficaces et ergonomiques, qu'on a amélioré nos techniques sans cesse. Donc je pense que c'est par la mobilisation et la solidarité, l'entraide, cette culture-là de collaboration et de non-compétition qui a fait qu'on a pu se développer et comme plein d'autres fermes au Québec aussi, on a quelque chose de vraiment unique au monde.

 

ÉMILIE -  [00:34:31] Est-ce que pour les régions, c'est des secrets et des techniques qui peuvent aussi être appliquées?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Tout à fait, mais comme je l'expliquais tout à l'heure, chaque ferme est un écosystème, donc chaque ferme a son contexte, on dit pédoclimatique, mais c'est certain que les techniques qu'on utilise à Mont-Tremblant, ce n'est pas les mêmes qu'on va utiliser en Montérégie. On est déjà plus au nord, mais il y a des fermes dans notre réseau des fermiers de famille, un peu partout au Québec, dans toutes les régions. Puis par ce réseautage-là, on peut partager des techniques pour allonger la saison, pour travailler dans différents types de sols. Donc les fermes qui ont des sols plus lourds peuvent partager entre elles leurs techniques de travail de ces sols-là particuliers. Celles qui ont des sols plus légers peuvent parler de leurs techniques aussi. Quel type d'engrais vert on peut faire selon la longueur de la saison qu'on a. Donc ce réseau-là de partage est vraiment extraordinaire. Puis aussi, les fermes dans des localités, comme moi je connais plus les fermes des Laurentides, on se voit souvent, on partage beaucoup entre nous. D'ailleurs on est en train de créer avec le CAPÉ, les cellules régionales, justement pour renforcer cette cohésion-là à l'intérieur des régions.

 

ÉMILIE -  À l'échelle de ta ferme, comment envisages-tu dans les prochaines années faire face à tous ces défis?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - On est en train de faire une transition vers une coopérative de solidarité. Il ne faut pas juste faire des changements à l'intérieur du système, il faut aussi changer nos systèmes sociaux, économiques. On a beaucoup de systèmes basés sur des rapports de domination, de compétition puis avec des modèles d'économie sociale où on se mobilise tous derrière une même mission finalement. Ici, les membres travailleurs autant que nos membres de soutien qui vont être les gens de la communauté ont tous le même objectif finalement. On veut une agriculture diversifiée qui contribue à notre santé, qui contribue à la santé de nos écosystèmes, de notre communauté. On veut travailler avec des revenus décents, on veut le faire aussi dans le plaisir. Donc pour arriver à cet objectif-là, je pense que c'est impératif d'avoir des structures sociales qui sont à l'image des écosystèmes. Finalement, les écosystèmes qu'on vénère en bio, qui sont en équilibre, en harmonie, chaque personne dans l'écosystème joue son rôle. Il n'y a pas quelqu'un qui est plus important qu'un autre. C'est un peu ça l'idée du mouvement écoféministe, c'est de s'inspirer des écosystèmes pour créer des structures sociales basées sur la collaboration, l'entraide, la solidarité, et non pas sur la compétition et que le plus fort gagne. Le plus fort c'est qui? C'est celui qui pollue le plus, celui qui exploite le plus sa main d'œuvre, qui n'est pas dans la solidarité. Est-ce que c'est vraiment ça les modèles qu'on veut? Pour nous, la façon dont on voit l'avenir avec l'équipe ici, c'est d'aller vers un modèle d'économie sociale où non seulement il n'y aura plus de cette division-là, l'employeur-employé, on va tous être des membres travailleurs mais aussi impliquer les consommateurs, notre population. On veut que les gens soient plus que des consommateurs. On veut qu'ils se sentent concernés par l'agriculture qui est finalement, l'agriculture c'est notre résilience alimentaire à nous tous.

 

 

ÉMILIE -  [00:37:49] Ce serait quoi à plus grande échelle les changements qu'il faudrait qu'on apporte pour un modèle encore plus résilient?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Plus j'y pense à la résilience alimentaire, la résilience de notre agriculture, plus j'en reviens toujours à ce magnifique modèle qui est l'agriculture soutenue par la communauté. La résilience, c'est oui d'être diversifiée. Nous on voit une saison qui est très humide, mais on va avoir certaines cultures qui vont moins bien réussir, d'autres cultures qui s'en sortent mieux. Donc le fait d'être diversifié, c'est quelque chose qui participe à la résilience, mais je ne pourrais pas faire 60 légumes sur 4 hectares et vendre au IGA ou au métro. C'est un autre modèle d'affaires. Pour vendre là, il faut produire des centaines d'hectares, vendre à coup de grosses vannes et alimenter ces grandes chaînes-là. Donc, pour permettre à cette petite agriculture-là, de diversifier, d'exister, ça prend une forme d'approvisionnement qui soutient cette agriculture. Pour y arriver, il faut faire des économies quelque part. Le fait de payer à l'avance permet d'économiser sur la marge de crédit. Le fait que les gens s'engagent à venir à chaque semaine, ça nous permet de mieux planifier et d'avoir moins de pertes, d'avoir moins de gaspillage alimentaire. Je fais aussi des marchés d'été. On a un samedi qui pleut au marché alors je vais ramener 20% de ce que j'avais amené. Ce n'est pas nécessairement des produits que je vais être capable de revendre. Donc, c'est des pertes. Forcément aussi quand on vend dans des épiceries, il faut emballer les produits, donc il y a aussi tout ce gaspillage d'emballage alimentaire. Puis il y a tout ce lien-là aussi entre nos abonnés et les fermiers et fermières, où on peut parler de comment cuisiner, comment transformer, comment cuisiner ces légumes-là pour ne rien perdre, pour pouvoir en profiter à l'année. Donc, on ne fait pas juste fournir des légumes, on accompagne aussi nos abonnés à manger selon les saisons, diminuer le gaspillage alimentaire. Et ça permet à cette forme d'agriculture-là d'exister et d'être accessible et abordable. Parce que ça coûte beaucoup plus cher de produire de façon diversifiée à petite échelle que de produire de façon industrielle avec beaucoup de bénéfices pour nos communautés. Puis, je ne vois pas d'autre forme d'agriculture que l'agriculture soutenue par la communauté pour arriver à un modèle qui est vraiment gagnant pour les abonnés, les consommateurs. Je n’aime pas le mot consommateur, ils font plus que consommer… Gagnant pour les fermiers et fermières, et gagnant aussi pour l'environnement, gagnant pour la santé de nos communautés. Donc je verrais ce modèle-là partout à travers le monde. Puis, ça existe aussi, j'ai eu la chance de participer à des rencontres d'Urgency, qui est le regroupement international d'agriculture soutenu par la communauté. Il existe des mouvements d'agriculture soutenus par la communauté un peu partout à travers le monde. Malheureusement, on n'a pas l'arsenal publicitaire des grandes compagnies de l'agro-industrie pour faire connaître ce modèle-là. C'est un modèle qui se fait connaître par l'expérience, par le bouche à oreille. Mais ça reste, selon moi, le meilleur modèle pour la résilience de l'agriculture. Puis ça, c'est au niveau de la production, mais il y a tout aussi au niveau humain. On a eu des fois, des épisodes de gel hâtif. J'ai écrit à mes abonnés, on a besoin d'aide pour ramasser certaines cultures parce que ça va être laid, on n'y arrivera pas : les gens débarquent, viennent nous aider. Ça, c'est de la solidarité, c'est de l'entraide, puis ça, ça participe à la résilience de nos communautés.

 

ÉMILIE -  [00:41:43] Pourquoi cette forme d'agriculture qui fait vraiment beaucoup de sens reste marginale malgré tous ces efforts?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Malheureusement, je pense que les décisions politiques font en sorte qu'on garde cette agriculture-là dans la marge. Souvent, on va dire que c'est une agriculture de niche, mais pourtant, les alternatives vont toujours commencer dans la marge pour ensuite devenir des innovations sociales qui ont été adoptées par nos sociétés. Pour l'instant en agriculture, on subventionne très largement certaines cultures dont le maïs et le soja OGM qui vient aussi avec le combo Roundup. C'est des variétés qui sont résistantes aux herbicides, donc on peut pulvériser des herbicides. On encourage l'utilisation des herbicides et ces monocultures-là, qui servent surtout à nourrir des animaux. Au Québec, on voit un mouvement en ce moment de fermes maraîchères qui cessent leurs opérations parce que c'est une production qui n'est pas assez rentable et qui vont vers du maïs-soya parce que c'est une production plus rentable, plus stable parce que soutenue par le gouvernement. Donc c'est certain qu'il faudrait soutenir l'agriculture diversifiée à plus petite échelle et la soutenir de façon plus durable. Des fois, on la soutient à coût de subvention d'équipement, mais ce qui arrive, c'est que dès qu'on subventionne un équipement, qu'est-ce qui se passe? L'équipement coûte le double parce qu'on sait que l'agriculteur va avoir 50 % de subvention, donc les prix montent. Donc finalement, les subventions qui sont destinées à l'agriculture sont souvent détournées et vont aux vendeurs d'équipements. Pourtant, pendant la pandémie, on a eu de bons exemples. Le gouvernement a encouragé les gens à acheter de fermes locales. Au niveau du réseau des fermiers de famille, les gens se sont abonnés massivement à nos paniers de légumes. Il faut dire que les gens avaient peur de manquer de légumes, il y avait peur de manquer de papier de toilette, mais là on a senti vraiment un soutien de la population encouragé par le gouvernement quand le premier ministre dit que nos agriculteurs sont tellement importants, il faut les soutenir. La pandémie est terminée, puis on n'entend plus ce message-là qu'il faut continuer de soutenir cette agriculture-là. Pendant la pandémie aussi, les travailleurs étrangers, temporaires ne pouvaient plus venir travailler. On a encouragé les Québécois à venir travailler sur les fermes en donnant une prime de 100$ par semaine. Nous, on n'a jamais eu autant de monde qui voulait venir travailler sur nos fermes. La pandémie est terminée, on est en situation de pénurie de main d'œuvre, ils ont moins de subventions salariales maintenant qu'avant la pandémie. Donc, on voit que selon les orientations du gouvernement, il est possible de favoriser une agriculture plutôt qu'une autre. Ce que je trouve dommage, c'est qu'en situation de pandémie, on avait peur de manquer de légumes. Tout d'un coup, le type d'agriculture qu'on faisait, l'agriculture soutenue par la communauté, on a vu le potentiel de cette agriculture-là pour sa résilience en cas de crise, que cette agriculture-là pourra être celle qui nourrit la population. La crise est terminée, on soutient puis cette agriculture-là, mais cette agriculture-là, si elle n'est pas soutenue, elle ne sera peut-être plus là lors de la prochaine crise.

 

ÉMILIE -  [00:44:49] C'est quoi en moyenne le salaire d'un employé agricole?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Notre salaire est constamment tiré vers le salaire minimum parce que bon, on est dans un secteur qui est mondialisé. On compare le prix de nos produits avec des produits importés qui viennent de pays où le salaire horaire est bien en dessous de notre salaire minimum. Et aussi par l'introduction des travailleurs étrangers temporaires en agriculture depuis quelques années. Mais ça fait en sorte que puisque des gens de l'extérieur sont prêts à venir travailler ici au salaire minimum, si les Québécois n'acceptent pas de travailler au salaire minimum, on fait venir des gens de l'étranger, donc le salaire n'augmente pas. Parce que le prix des aliments est basé sur un coût de production au salaire minimum. Si on faisait la même chose, par exemple, dans le milieu de la construction, si on faisait venir des Guatémaltèques et des Mexicains pour travailler sur nos chantiers de construction, peut-être qu'on réussirait à avoir du logement abordable. Mais là, on ouvre un secteur de l'économie à la mondialisation, mais pas d'autres. Qu'est-ce que ça a comme impact ? Si on regarde dans les 40 dernières années, la part du budget alloué à l'alimentation des Québécois a diminué de moitié. Donc les gens utilisent deux fois moins de leur budget pour l'alimentation et deux fois plus pour le logement. Donc c'est certain que ce contexte de mondialisation-là n'aide pas l'agriculture parce qu'on est dans un contexte où notre salaire est constamment tiré vers le bas pour un travail qui est vraiment très exigeant. Il existe un cas d'espèce en agriculture qui est la gestion d'œufs, donc les produits comme le lait, les œufs, où là on bloque les importations. Donc on produit pour notre propre production locale et le prix est basé sur les coûts de production. Donc dans ces secteurs-là, les agriculteurs réussissent à avoir des revenus décents, comparables à des métiers similaires exigeants dans d'autres secteurs. Mais ce n'est vraiment pas le cas dans des productions mondialisées comme le maraîchage.

 

 

ÉMILIE -  [00:46:47] Est-ce que tu penses qu'on est sur la bonne voie pour faire une agriculture avec moins de pesticides?

 

VÉRONIQUE BOUCHARD - Actuellement, on en fait trop peu pour la gravité des problèmes environnementaux auxquels on fait face. Il faudrait un virage plus drastique, c'est un peu comme les changements climatiques ou la crise de la biodiversité. C'est des crises qui mettent la vie, pas juste celle des humains, toute la vie sur terre en péril. Mais pourtant ce qu'on fait c'est des micro-changements puis ça va vraiment pas assez vite. Donc globalement, je ne sens pas qu'on est sur la bonne voie parce qu'on continue à encourager la monoculture industrielle, l'utilisation des pesticides via le combo OGM résistant aux pesticides. Donc globalement on ne va pas vers cette voie-là. Il existe des alternatives qui essaient tant bien que mal de se développer mais qui, si elles ne sont pas soutenues, vont rester malheureusement dans la marge et puis vont reporter sur des épaules de gens qui en font une mission de vie. Parce qu'on parlait des faibles salaires, tout le monde que je connais qui fait ça comme métier le fait vraiment de façon missionnaire. On travaille vraiment très fort, souvent on hypothèque notre santé physique, mentale, pour essayer... Pour protéger celle des autres.

 


 

Passez à l'action! Consultez l'ensemble des revendications de Vigilance OGM sur les pesticides, signez le manifeste, et participez aux futurs appels à l’action.

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Les références

  • La Ferme aux petits oignons, (Lien) 
  • Réseau des fermiers-ères de famille, (Lien)
  • Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPE), (Lien)
  • « Le Manifeste de la résilience », initiative du Réseau des fermiers-ères de famille et de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (Lien)
  • Regroupement international de l’agriculture soutenue par la communauté (Urgenci), (Lien)
  • « Cuisiner sans recettes », Véronique Bouchard, 2020 (Lien)