Le niveau de contamination trouvé est – il dangereux pour la santé?
RÉPONSE COURTE :
Difficile à évaluer
RÉPONSE PLUS LONGUE :
Les doses dans l’urine sont faibles, car le glyphosate séjourne longtemps dans le corps humain, et seulement une petite partie se retrouve dans l’urine. Néanmoins, c’est une mesure utile car elle informe sur la contamination intégrée sur plusieurs jours. Même si les doses mesurées sont faibles, elles sont quotidiennes et à long terme, ce qui peut avoir des conséquences non négligeables puisqu’on soupçonne le glyphosate d’avoir des effets de perturbateur endocrinien (1). Rappelons qu’un perturbateur endocrinien interfère avec le système hormonal et brouille les signaux naturels de l’organisme et ce, à très faibles doses. De plus, les sources d’exposition aux HBG sont multiples (alimentation, boissons diverses, eau potable, particules aériennes dans les zones d’épandage, etc.).
En 2015, l’agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le cancer, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé le glyphosate dans la catégorie 2A – c’est-à-dire « cancérogène probable » –, dernier échelon avant la qualification de « cancérogène certain ». Il existe de nombreux débats sur le sujet puisque les agences de réglementation américaines, canadiennes et européennes ne considèrent pas le glyphosate comme potentiellement cancérigène. Ce débat est extrêmement bien expliqué dans l’article suivant : Glyphosate: pourquoi la cacophonie persiste sur l’herbicide controversé ?
Les pesticides sont des produits chimiques non naturellement présents dans nos corps
Des études considèrent que seulement 20% du glyphosate ingéré réussit à passer la paroi intestinale pour ensuite être évacué dans l’urine (2). Toutefois, ce mouvement peut varier selon différentes caractéristiques individuelles : sexe, poids, âge… Il ne faut pas oublier que le glyphosate qui se retrouve dans notre urine a suivi tout un cheminement dans notre corps et a été en contact avec nos cellules.
D’une façon plus générale, étant donné que l’exposition aux pesticides se déroule sur de longues périodes, les conséquences peuvent aussi survenir à long terme, comme le développement de cancers ou le dérèglement du système endocrinien, neurologique et reproducteur (comme cela est observé chez les animaux de laboratoire) (3). Il est extrêmement difficile de dresser des relations de causes à effets entre l’exposition aux pesticides et l’apparition des maladies sans la réalisation d’études épidémiologiques poussées et à long terme mettant en lumière les niveaux d’exposition, la formulation chimique, les zones d’applications, etc. Malheureusement, à l’heure actuelle, ces études sont inexistantes.
Il ne faut pas oublier que cette campagne n’a testé que le glyphosate alors qu’il existe plus de 7 600 pesticides autorisés au Canada (4) dont 183 à base de glyphosate. Il peut exister des effets dits « cocktails » entre ces pesticides qui ne sont pas connus, car très peu étudiés. En effet, il est très complexe et dispendieux d’étudier différentes combinaisons de pesticides. Quelques études réalisées en laboratoire montrent cependant que des effets cocktails de pesticides peuvent entraîner des perturbations métaboliques.
Agriculteurs , premières victimes
Les agriculteurs sont les premiers utilisateurs de pesticides. Ces derniers sont plus à risque de développer certains types de maladies que la population générale. Dans le cas de la maladie de Parkinson, les preuves s’additionnent pour conclure à une relation de causalité claire avec certains pesticides. En 2012, la France a reconnu la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle susceptible d’être provoquée par certains pesticides par décret (6). Puis en 2015, c’est le Lymphome malin non hodgkinien (7) qui est à son tour reconnu comme maladie professionnelle liée à l’utilisation de certains pesticides.
Des études similaires au Glyphotest, menées en Irlande (8) et en France (9), ont montré que les personnes travaillant directement sur les fermes étaient plus largement contaminé.
Suite entre autres au combat de l’agriculteur Paul François contre Monsanto, une association d’aide aux professionnelles victimes des pesticides a vu le jour en France : Phyto-Victimes. Au Québec, il n’existe malheureusement pas encore d’associations d’aide aux victimes ou de médecins se regroupant pour faire reconnaître le lien entre certaines maladies et les pesticides. De plus, la CNESST qui gère la reconnaissance des maladies professionnelles liées à l’utilisation d’herbicides, ne reconnaît aucune maladie professionnelle due à l’utilisation des pesticides chez les agriculteurs !
Problèmes liés à notre système de réglementation
Lors du processus d’homologation des pesticides, des études toxicologiques et écotoxicologiques doivent être présentées par les compagnies désirant mettre sur le marché canadien leurs formulations commerciales afin d’en évaluer les impacts sur la santé et l’environnement selon les exigences des organismes d’évaluation. Or, ces études analysent uniquement les impacts de la matière active au lieu de la formulation complète qui est épandue. C’est d’ailleurs uniquement cet ingrédient « actif », le glyphosate, que l’on a testé dans notre campagne.
D’un point de vue scientifique, cette façon de faire est très discutable, comme le souligne le Comité d’experts sur les tests intégrés pour les pesticides (10). La prise en compte du principe actif seul lors des tests toxicologiques est une lacune du processus d’homologation (11) car aucun individu n’est exposé au principe actif seulement. Plusieurs recherches (12) ont démontré que la formulation commerciale d’un pesticide, dont le Roundup, peut avoir des effets plus néfastes que l’ingrédient « actif ».
Ainsi, les processus d’homologation devraient être revus, d’une part pour tenir compte des effets mesurés sur les formulations complètes, et d’autre part pour tenir compte, non pas uniquement des études réalisées par les compagnies, mais surtout celles par les parties indépendantes - dont les études universitaires publiées et analysées par les pairs.
Aussi dans le cas de la réévaluation du glyphosate par Santé Canada, l’agence s’est basée sur des références, qui datent déjà de plusieurs années, ce qui ne correspond aucunement à l’état actuel des connaissances. En effet, 80.5% des références de ce volet d’évaluation ont été produites avant 1996 (13) !
(1) The Ramazzini Institute 13-week pilot study glyphosate-based herbicides administered at human-equivalent dose to Sprague Dawley rats: effects on development and endocrine system, Environmental Healthvolume 18, Article number: 15 (2019)
(2) A critical review of glyphosate findings in human urine samples and comparison with the exposure of operators and consumers (lien)
(3) Pesticides en milieu agricole, Chapitre 3, Rapport du commissaire au développement durable, Printemps 2016, Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2016-2017.(lien)
(4) ttp://www.environnement.gouv.qc.ca/pesticides/apropos.htm, consulté le 6 juin 2020
(5) Metabolic Effects of a Chronic Dietary Exposure to a Low-Dose Pesticide Cocktail in Mice: Sexual Dimorphism and Role of the Constitutive Androstane Receptor. Environmental Health Perspectives.25 juin 2018. (lien)
(6) Décret n° 2012-665 du 4 mai 2012 révisant et complétant les tableaux des maladies professionnelles en agriculture annexés au livre VII du code rural et de la pêche maritime.
(7) Décret n° 2015-636 du 5 juin 2015 révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre VII du code rural et de la pêche maritime.
(8) Connolly A, Basinas I, Jones K, Galea KS, Kenny L, McGowan P, Coggins MA. Characterising glyphosate exposures among amenity horticulturists using multiple spot urine samples. Int J Hyg Environ Health. 2018b; 221(7):1012–22.
(9) Mesnage R, Moesch C, Grand R, Lauthier G, de Vendômois J, Gress S, Séralini G. Glyphosate exposure in a farmer’s family. J Environ Prot. 2012;3(9):1001.
(10) CETIP, Comité d’experts sur les teste intégrés pour les pesticides. (2012). Nouvelles technologies et évaluation de la sécurité chimique. Conseil des académies canadiennes, Ottawa.
(11) Idem
(12) Defarge, N., et al. (2016). "Co-Formulants in Glyphosate-Based Herbicides Disrupt Aromatase Activity in Human Cells below Toxic Levels." Int J Environ Res Public Health 13 (3).
(13) Avis d’objection à la décision de réévaluation RDV2017-01 de l'ARLA sur le Glyphosate, déposé par la professeure Louise Vandelac de l'UQAM et la chercheure Marie-Hélène Bacon, en juin 2017.(lien)