1. La luzerne c’est quoi ?
La luzerne est cultivée pour sa richesse en protéines et ses facultés d'amélioration des sols. Abondamment répandue dans les contrées tempérées, tant à l'état sauvage que cultivée, la luzerne est la principale plante fourragère utilisée pour l'alimentation du bétail, car elle est une véritable source de protéines et de carotène.(1) Aux États-Unis, 90% de la luzerne cultivée est destinée à l’alimentation animale contre 7% pour l’alimentation humaine, sous la forme de graine germée. (2)
La luzerne assure la fixation symbiotique de l'azote atmosphérique. La luzerne fournit aussi un habitat à une multitude d’insectes et de micro-organismes qui permet d’améliorer la vie microbienne des sols, un indicateur précieux pour les rendements agricoles.
2. Qui produit de la luzerne GM ?
Les États-Unis ont approuvé la luzerne «Roundup Ready» en 2005. Elle occupait seulement 1% des superficies nationales de culture en 2006 soit environ 100 000 hectares. À la suite du jugement d’un tribunal fédéral, la mise en culture de nouvelles surfaces de luzerne GM a été interdite entre 2007 à 2011. En 2018, les États-Unis ont planté 1,26 million d’hectares de luzerne GM ce qui représente 14% de la surface totale de luzerne. (2) Sur ces 1,14 million d’hectares cultivés, 90,5% étaient Roundup Ready donc tolérant au Roundup et 9,5% étaient des variétés HarvXtra™, soit tolérants au Roundup et à faible teneur en lignine.
Au Québec et en Ontario
Avec les États-Unis, le Canada est l’un des seuls pays au monde à planter de la luzerne GM, pour le moment. En avril 2013, les toutes premières variétés de luzerne GM Roundup Ready de Monsanto ont été enregistrées au Canada, après l’acceptation de leur innocuité en 2005. En décembre 2014, des variétés de luzerne GM à faible teneur en lignine ont été approuvées et enregistrées au Canada. De la luzerne GM a été plantée au Québec et en Ontario sur 4000 hectares, mais ces informations sont difficilement vérifiables puisque les agriculteur·rice·s n'ont pas besoin de déclarer s’ils plantent de la luzerne GM ou non. (3)
L’UPA demande «d’imposer un moratoire permanent sur la commercialisation des variétés GM de luzerne au Canada».
En 2017, les premières cultures commerciales de luzerne GM ont été plantées au Québec et en Ontario, soit respectivement, environ 800 hectares et 3200 hectares. (4) Cette nouvelle inquiète beaucoup les agriculteur·rice·s, particulièrement l’industrie laitière du Québec. Rappelons que, depuis 2015, l’Union des producteurs agricoles (UPA) demande «d’imposer un moratoire permanent sur la commercialisation des variétés GM de luzerne au Canada» (5).
3. Pourquoi on le modifie ?
La luzerne GM plantée aux États-Unis et au Canada se divise en deux catégories soit la luzerne Roundup Ready tolérante au Roundup et la luzerne HarvXtra™ tolérante au Roundup et à teneur réduite en lignine. La luzerne GM HarvXtra™ est conçue pour produire une quantité moindre d’un type particulier de lignine, une substance qui rigidifie les parois des cellules végétales. Cela élargit la période de coupe jusqu’au stade de 20% à 50% de la floraison, sans altérer son goût ou la teneur nutritive des aliments pour animaux (6).
Les deux variétés disponibles sont tolérantes au Roundup, leur culture va donc exiger des applications de cet herbicide. Il faut noter que la culture de la luzerne ne demande pas l’application d’ herbicide et que par conséquent l’adoption de la luzerne GM augmente l’utilisation de pesticides.
4. Problématiques
La luzerne est une plante pérenne qui peut contaminer les cultures voisines sur de vastes distances. Notamment par le transport du pollen des insectes pollinisateurs comme l’a démontré une étude financée par Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), publiée en août 2012. (5) De plus, la luzerne étant une plante pérenne, elle est cultivée pendant plusieurs années dans un champ. La décision d’un agriculteur·rice de cultiver de la luzerne GM a par conséquent un impact pluriannuel sur les cultures que d’autres producteur·rice·s pourraient produire.
Monsanto et son partenaire commercial, Forage Genetics International (FGI), sont bien conscients de cette réalité, mais ils désirent tout de même introduire la luzerne génétiquement modifiée. L’industrie a tenté d’apaiser le public et de fournir aux décideurs une excuse pour ne pas intervenir en publiant un soi-disant «plan de coexistence» développé, en leur nom, par l’Association canadienne du commerce des semences. Cependant, ce plan ignore les éléments de base de la biologie végétale et même des réalités de l’agriculture, et démontre un mépris complet des intérêts des agriculteur·rice·s dont les activités seront lésées par la contamination par les OGM. (7)
Contamination
Il existe différentes manières par lesquelles le caractère Roundup Ready peut se retrouver en faibles concentrations dans un fourrage de luzerne conventionnel. Cela peut survenir par le mélange de semences lors de la plantation de la culture; le flux de pollen pendant la production du fourrage; la rotation incluant une culture non GM après la production d’une culture de luzerne GM; et le mélange accidentel de luzerne GM et de fourrage conventionnel en cours de récolte, lors du transport ou de l’entreposage. Parmi ces facteurs, une présence en faible concentration au niveau des semences et la possibilité de mélanger le fourrage après la récolte sont clairement des causes vraisemblables de contamination. La présence adventice due aux flux de pollen et aux problèmes de rotation des cultures est une source moins vraisemblable de contamination à cause des facteurs biologiques. (7)
Forage Genetics International annonce que pour limiter la contamination, l’agriculteur·rice devra récolter à temps pour éviter que la luzerne ne dépasse 10 % de floraison. La réalité est que les fermier·ère·s ne sont pas en mesure de garantir que leurs récoltes soient complétées à un temps donné (avant la floraison des plantes par exemple) ou que chaque plante soit enlevée du champ lors de la récolte. Les agriculteur·rice·s ne peuvent pas non plus garantir le confinement des semences de luzerne GM au cours du transport ni du nettoyage chirurgical de l’équipement, d'autant plus que la semence de luzerne est très petite.
Perte économique et zone sans luzerne OGM
Au Québec, la filière laitière est très importante, la contamination pourrait donc entraîner des pertes économiques importantes particulièrement pour les producteur·rices biologiques qui doivent éviter à tout prix cette contamination pour conserver leur certification. Le secteur du fourrage, celui des bovins de boucherie, ou ceux des chèvres, agneaux et moutons seraient aussi touchés.
Puisque la contamination semble inévitable, l’une des solutions serait de créer des zones où la luzerne GM serait interdite, permettant ainsi aux agriculteur·rice·s d’être davantage protégés. C’est ainsi qu’en mars 2016, l’Alberta Association of Municipal Districts and Counties (AAMDC) a adopté une résolution pour collaborer avec le gouvernement à différents niveaux et avec diverses entreprises afin de «prévenir l’introduction de la luzerne transgénique/génétiquement modifiée dans la province de l’Alberta jusqu’à ce qu’il y ait leur acceptation par le marché et par les consommateur·rice·s des marchés d’exportation de l’Alberta, notamment la Chine et le Japon, l’Union européenne et le Moyen-Orient» (8). Cette résolution reconnaissait que plusieurs producteur·rice·s de semences de fourrage albertain vendaient des produits dans des pays interdisant l’importation de luzerne génétiquement modifiée, et que la dissémination de luzerne GM menacerait gravement les exportations de semences de fourrage de la province ainsi que l’exportation de foin, de compléments alimentaires et de germes de luzerne destinés à la consommation humaine. La résolution reprochait aussi au gouvernement fédéral de ne pas avoir procédé à «une évaluation quantifiée de l’impact économique des effets de la luzerne transgénique/génétiquement modifiée sur les marchés d’exportation du Canada». (7)
Le Lac-St-Jean, première zone sans Luzerne OGM au Québec ?
Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, les détaillants de semences se sont engagés à ne pas offrir de luzerne GM afin de garder la région exempte de contamination génétique. Selon les informations recueillies par La Terre de chez nous, d’autres commerçants ailleurs au Québec ont décidé de ne pas la mettre en marché. (4) Le ministre Lessard a annoncé qu’il mettrait en place un comité de suivi sur le dossier de la luzerne GM. Vigilance OGM a fait part de son désir de siéger sur ce comité, dossier à suivre durant l’année 2018.