OGM : des approbations dictées par une confiance aveugle envers l’industrie
Depuis presque trente ans, le gouvernement canadien approuve des organismes génétiquement modifiés (OGM) à partir d’un processus qui n’est pas transparent, car le gouvernement autorise les OGM en utilisant les données de l’industrie qui sont classées renseignement commercial confidentiel. Elles ne sont ainsi ni divulguées au public ni aux scientifiques indépendants. Ce système de réglementation a fait l’objet de nombreuses critiques sans qu’on le modifie de façon importante.
L'approbation des OGM se base sur deux points très critiquables :
Pire encore, avec l'arrivée des nouveaux OGM (via l’édition du génome), le gouvernement canadien a abdiqué devant les pressions des lobbyistes, passant d’une réglementation « peu transparente » à une réglementation complètement « opaque » basée sur la confiance envers l’industrie. Cela entraîne des conséquences importantes pour les agriculteur.rice.s et consommateur.rice.s.
De plus, contrairement à de nombreux autres pays, il n’existe pas d’étiquetage obligatoire des OGM au Canada.
Pesticides : une homologation « désuète »
Comme pour les OGM, le gouvernement fait preuve de très peu de transparence et d'une grande confiance envers l’industrie de l’agrochimie. L’encadrement de notre exposition aux pesticides repose sur un biais scientifique majeur : nous n'évaluons notre exposition que molécule par molécule — sans étudier l'interaction de l’ensemble des substances auxquelles nous sommes exposés entre elles. On omet ainsi l’effet cocktail.
De plus, le système d'évaluation actuel est basé sur trois problématiques fondamentales :
Pour plus de détails sur notre critique de l’évaluation des pesticides, nous vous invitons à voir nos trois revendications à destination du gouvernement fédéral, regroupées dans notre manifeste Sortir du glyphosate.
Même si ce système fait depuis des décennies l’objet de critiques de la part des scientifiques indépendants et de la société civile, le sujet revient sur la place publique en 2021, avec le scandale des limites maximales de résidus (LMR) de glyphosate que le gouvernement voulait augmenter suite à une demande émanant de son principal fabricant, Bayer.
Ce scandale lance un processus de transformation de l’ARLA en 2021 visant à intégrer plus de transparence et d’indépendance vis-à-vis des données de l’industrie dans le processus d’homologation des pesticides : des objectifs qui ne seront pas atteints.
Le système de réglementation des OGM et des pesticides s’appuie sur deux objectifs contradictoires : appuyer l’industrie et assurer la sécurité du public.
Institutions impliquées dans la réglementation
Santé Canada et les autres sont des institutions publiques de régulation, mais bien que destinée à agir en faveur de l'intérêt public, elles semblent de plus en plus servir les intérêts commerciaux de certaines entreprises : ce concept est connu sous le terme de capture réglementaire.
Dans certains ministères, de nombreux responsables publics sont déjà fortement enclins à soutenir les intérêts économiques qu'ils sont chargés de superviser, de sorte qu'il n'est même pas nécessaire de les influencer. Au contraire, on dirait même que c’est eux qui s'emploient à faire du lobbying auprès des autres ministères : plus on travail sur ce dossier, plus on se dit « le lobby, c’est l’état ».
Dans notre cartographie, nous nous sommes attelés à en dévoiler deux aspects révélateurs, soit le phénomène des portes tournantes et celui de la régularité des rencontres avec des hauts fonctionnaires et/ou élu.e.s.
Les portes-tournantes
Les « portes tournantes », c'est-à-dire les va-et-vient entre le secteur public et le secteur privé, représentent une stratégie efficace en termes d'influence des grandes entreprises.
Non seulement elles fournissent aux acteurs économiques un accès privilégié à l'information et aux décideurs, mais elles contribuent également à perpétuer une culture de proximité et de coopération rendent la frontière entre l'intérêt public et les intérêts privés de plus en plus floue.
Des fonctionnaires à des postes clés qui rejoignent Croplife et qui se mettent au service d’intérêts économiques qu’ils étaient chargés de réguler (!) : voici ce que l’on va essayer de démontrer avec une simple recherche sur LinkedIn . À noter que notre recherche s’est limité à Croplife mais il existe des dizaines de groupes, entreprises et agences qui vont aussi du lobbyisme dans le dossier des pesticides et des OGM, et dont certains des employé.e.s proviennent du secteur public.
Les rencontres
C’est grâce au Registre des lobbyistes que l’on a pu calculer le nombre de rencontres que Croplife, les fabricants de pesticides (Bayer, Syngenta, BASF et CORTEVA) ainsi que les associations agricoles — dont les membres sont aussi les fabricants et les vendeurs de pesticides, ont effectués.
« Le Registre des lobbyistes offre au public la possibilité d'effectuer des recherches et de consulter des rapports et des statistiques liés aux activités de lobbying qui sont rapportées dans des enregistrements et des rapports mensuels de communication. » — Registre des lobbyistes
LA POINTE DE L'ICEBERG - Nous sommes conscients que le Registre ne représente qu’une partie des rencontres que les députés, sénateurs et fonctionnaires font avec les lobbyistes. En effet, ce registre n'inclut pas, par exemple, les colloques et réunions publiques organisés par les lobbys et dans lesquels ces derniers véhiculent leurs messages — et où la présence des élu.e.s et/ou titulaires d’une charge publique sont fréquentes ; ou encore les multiples échanges de courriels entre ces mêmes personnes. Ces échanges sont d’ailleurs souvent caviardés dans les demandes d’accès à l’information.
LIMITES DE NOS CALCULS - Aussi, et pour des raisons évidentes de capacité, nous avons dû (1) se limiter dans le temps en ne revenant que jusqu’au 1er janvier 2020 ; (2) se limiter à quelques acteurs principaux actifs alors qu’il existe des dizaines d’autres lobbyistes employés par les firmes et qui véhiculent le même message ; (3) se limiter à quelques élus et titulaires d’une charge publique.
Le gouvernement canadien et les lobbys des pesticides et des OGM ont — malheureusement — une longue histoire de travail collaboratif. Une collaboration qui profite aux géants de l’agrochimie et qui se fait donc au détriment de l’ensemble des canadien.ne.s, plus spécifiquement des agriculteur.trice.s et de la biodiversité.
Voici 5 exemples de scandales qui ont été rendus publics suite au travail d’enquête de journalistes et d'organismes comme Vigilance OGM. Ces derniers ne sont que la pointe émergée de l’iceberg mais démontrent à quel point les lobbys ont du pouvoir sur notre démocratie, qui s’effrite sous leur influence.
1 - Encore plus de glyphosate dans notre assiette ?
— Ou quand les lobbys des pesticides demandent et Santé Canada s’exécute.
En 2021, Santé Canada a proposé des augmentations de limites maximales de résidus (LMR) de glyphosate sur de nombreux aliments, à la demande de son principal producteur, Bayer !
2 - Les lobbys écrivent directement leur propre réglementation
— Ou quand Santé Canada, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) et l’industrie des OGM, forment la « Tiger Team » visant la création des nouvelles orientations réglementaires dans le dossier des nouveaux OGM.
3 - Fichage à grande échelle des personnalités dérangeantes pour l’agrochimie
— Ou quand les lobbys accumulent et partagent des informations personnelles sur des scientifiques et des militant.e.s critiques des pesticides et des OGM pour mieux les décrédibiliser.
4 - Une chercheuse réduite au silence
— Ou quand l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) s'est entendue avec Bayer pour réduire au silence Christy Morrissey et ses études « gênantes » sur les néonicotinoïdes.
5 - Abaisser nos exigences pour faciliter la mise en vente de pesticides
— Ou quand le président du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes veut passer un projet de loi pour faciliter la mise en vente de pesticides en laissant d’autres juridictions (moins scrupuleuses par exemple) les évaluer!
Le 19 octobre 2023, Kody Blois déposait le projet de loi C-359 entouré des « associations agricoles », qui représentent souvent les intérêts des géants de l'agrochimie comme les Producteurs de grains du Canada et les producteurs de Canola. Forcément, ils ont applaudi le projet de loi.
Il semblerait que Kody Blois, député libéral, mais aussi président du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes, souhaitait leur faire un cadeau de Noël avant l’heure ! Dans nos recherches sur la fréquence de rencontre des décideurs publics avec des lobbys de l’agrochimie, nous avons compilé les rencontres de M. Blois : peu avant cette annonce d’ailleurs, le député les rencontrait chaque semaine.
Ce projet de loi permettrait d'asperger les champs et les forêts du Canada d’un pesticide sans aucune évaluation de la part de Santé Canada si deux juridictions étrangères l’ont déjà approuvé. Ces juridictions pourraient être des pays ou des « subdivisions » de pays, tels que des États américains.
En gros, on déléguerait à d’autres pays notre système d’évaluation des pesticides : in-cro-yable !!