Impacts des pesticides sur la politique
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Évaluation des pesticides
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Monsanto Papers: sciences sous attaque
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Lobbying: démocratie sous attaque
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Québec : 30 ans de politiques inefficaces
Évaluation des pesticides
En 2015, l’agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le cancer et le centre international de recherche sur le Cancer (CIRC) classaient le glyphosate dans la catégorie 2A - c’est-à-dire « cancérogènes probables » -, dernier échelon avant la qualification de «cancérogène certain».
Malheureusement l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada (ARLA), qui publiait plus tôt cette année sa réévaluation du glyphosate, dénigre l’étude du CIRC sur la cancérogénicité, entre autres pour les raisons suivantes: «l’ARLA, en coopération avec l’EPA (Agence américaine de protection de l'environnement), a évalué un corpus d’informations scientifiques beaucoup plus grand et plus pertinent que l’a fait le CIRC.»(1). En résumé, cela signifie que le CIRC n’a pas pris en compte les nombreuses études fournies par l’industrie qui ne considère pas qu’il y ait un problème! Une preuve que l’ARLA s’occupe davantage de la santé financière des compagnies chimiques que de la santé de la population canadienne.
De plus, la réévaluation du glyphosate par l’ARLA se base sur un faible nombre d’études, majoritairement issues de l’industrie et datant de plusieurs décennies comme le démontre si bien la critique de ces deux chercheuses: (2)
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L’évaluation a pris en compte moins de 1% de l’abondante littérature scientifique depuis le début des années 1970, sur les effets du glyphosate et des herbicides à base de glyphosate (HBG) sur la santé et l’environnement.
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Le volet concernant l’évaluation par l’ARLA des «dangers toxicologiques», repose sur 118 références provenant de l’industrie et donc non publiées. Pour les 7 autres références, censées être publiées, les auteurs et les lieux de publication ne sont pas identifiés.
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Ces références, qui datent déjà de plusieurs années, ne correspondent aucunement à l’état actuel des connaissances. En effet, 80.5% des références de ce volet d’évaluation ont été produites avant 1996.
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C’est ainsi sur la base de 95 références provenant de l’industrie et datant de plus de 20, de 30 ou de 40 ans que la section «dangers toxicologiques» du document PRVD2015-01 prétend conclure, que «les produits contenant du glyphosate ne présentent pas de risques inacceptables pour la santé humaine ou l’environnement» ou que «Il est peu probable que les produits contenant de l’acide de glyphosate nuisent à la santé humaine…» (ARLA, 2015:3). Compte tenu de l’évolution rapide de la recherche sur les impacts de certaines substances et cocktails chimiques sur la santé, cette étude ne correspond aucunement aux exigences scientifiques.
La vérificatrice générale du Canada critique sévèrement l'évaluation des pesticides en 2015 dans son rapport. Elle constate que de nombreux pesticides sont mis sur le marché sans avoir été totalement étudiés (homologation conditionnelle ) et que ces produits peuvent être utilisés durant plus de 10 ans sans être homologués. De plus quand on retire l’homologation à un pesticide à cause de ces impacts sur la santé ou l’environnement, l’agence d’inspection du Canada autorise sa vente durant 4 à 7 ans afin de laisser la compagnie finir son stock. (écouter l'émission)
Agence de réglementation Vs CIRC
En février 2019, dans les années lumières Chantal Srivastava présente les résultats d'une nouvelle étude parue dans la revue Environmental Sciences Europe qui ravive la controverse au sujet du potentiel cancérogène de ce produit. Cette étude a analysé le corpus de données utilisées par le CIRC et l’EPA pour évaluer un élément bien précis, la génotoxicité – c’est-à-dire la faculté de modifier l’ADN, une propriété souvent associée au développement de cancers.
Les résultats révèlent que l’EPA a surtout utilisé les données du fabricant, qui, dans 99 % des cas, ne rapportent aucune association avec l'apparition de cancers. De son côté, le CIRC a plutôt considéré les données publiées dans la littérature scientifique révisée par les pairs; des études qui, dans 70 % des cas, ont établi un lien avec le cancer.
À écouter: Les années lumières sur le GLYPHOSATE
À écouter: Les années lumières différence entre CIRC et Agence de réglementation (yves gingras)
(1) ARLA, 2017, Glyphosate: Décision de réévaluation – RVD2017-01, Santé Canada, Ottawa.
(2) Avis d’objection à la décision de réévaluation RDV2017-01 de l'ARLA sur le Glyphosate, déposé par la professeure Louise Vandelac de l'UQAM et la chercheure Marie-Hélène Bacon, en juin 2017.
Monsanto Papers: sciences sous attaque
Comme cela a été démontré dans le rapport «Où sont les OGM?», les compagnies qui vendent les pesticides et les semences génétiquement modifiés possèdent une influence démesurée sur nos politiques et freinent toute politique ambitieuse en matière d’alternatives. Dans le cas des pesticides à base de glyphosate, des documents scandaleux ont été rendus publics en 2017: les «Monsanto Papers». Ces documents internes à Monsanto démontrent clairement comment la compagnie a essayé de cacher la dangerosité du glyphosate.
Une ancienne agricultrice, atteinte du lymphome endocrinien (cancer du sang) attaque Monsanto pour avoir caché la dangerosité du roundup qui, pour elle, est responsable de sa maladie. Ordonné par un juge de San Francisco, Monsanto a dû rendre publiques des correspondances internes révélant que la firme avait conscience de la dangerosité de ces produits depuis 1999. En effet, dès 1999, la compagnie s’inquiète du potentiel mutagène du glyphosate, c’est-à-dire sa capacité d’engendrer des mutations génétique et donc des cancers.
Ces communications internes à Monsanto exposent les stratégies de l’entreprise, ici reprises dans le journal Le Monde: «Prenons un peu de recul et regardons ce que nous voulons vraiment faire, écrit un cadre d’ʼentreprise à ses collègues. Nous voulons trouver quelqu’un qui est familier du profil génotoxique du glyphosate/Roundup et qui peut avoir une influence sur les régulateurs, ou conduire des opérations de communication scientifique auprès du public, lorsque la question de la génotoxicité [du glyphosate] sera soulevée» (1). Monsanto choisit James Parry pour mener ces études, lʼun des experts les plus reconnus de la génotoxicité – auteur de près de 300 publications. Sur la base d’études alors récentes, M. Parry écrit: «Je conclus que le glyphosate est un clastogène potentiel in vitro». Une substance «clastogène» est un mutagène capable de casser l'ADN et d’induire des aberrations chromosomiques. Ce rapport remis à Monsanto ne sera ni rendu public ni transmis aux autorités de régulation.
Les techniques révélées par les «Monsanto Papers» sont nombreuses (2):
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Financement d’études complaisantes
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Dissimulation d’études mettant en lumière la dangerosité de leurs produits
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Lobbying intensif sur des agences de réglementation
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Attaques sur des instituts comme le Centre international recherche sur le cancer (CIRC)
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Intimidation des chercheurs
BALADO : EXCELLENT RÉSUMÉ DES MONSANTO-PAPERS
Au Québec, un scandale a éclaté suite à la divulgation d’une note ministérielle qui fait état de tentatives d'intimidation de la direction sur les chercheurs du centre de recherche sur les grains (CEROM ) et d'« ingérence de quelques membres du CA, et notamment de son président Christian Overbeek, président des producteurs de grains (dont soya et maïs) , dans la diffusion et l'interprétation des résultats de projets de recherche. Christian Overbeek est connu pour défendre dans les médias l'utilisation des pesticides
Le CÉROM est une institution publique dont une partie des recherches vise à réduire l'utilisation des pesticides qui nuisent à l'environnement. Le CÉROM est financé à 68 % par le ministère de l'Agriculture. Pourtant, son conseil d'administration est entièrement dominé par le privé. (3)
(1) Journal le Monde 8.03.2017, Ce que les « Monsanto Papers » révèlent du Roundup, par Stéphane Foucart.
(2) Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation , 24 janvier 2017, Conseil des droits de l’homme , A/HRC/34/48.
(3)Pesticides : quand le privé administre la recherche publique québécoise, radio canada 5 mars 2018 (en ligne)
Lobbying: démocratie sous attaque
Les sociétés comme Monsanto ou Bayer disposent de ressources gigantesques pour influencer les politiciens, les politiques et donc notre système démocratique, grâce au lobbying. Même si les pratiques de lobbying restent pour la majorité légale, nos dirigeants privilégient de plus en plus le dialogue avec les entreprises au détriment de la population, et de leurs représentants comme les ONG. De part leur histoire et les scandales qu’elles ont engendré, certaines compagnies sont devenues expertes en lobbying. C’est à nouveau le cas de Monsanto (PCB, dioxine, agent orange…) et d’autres compagnies qui parviennent à cacher les sommes qu’elles investissent en lobbying, sommes qui sont ainsi souvent sous-évaluées.(1) Nos gouvernements sollicitent souvent, eux-mêmes, le lobbying des entreprises, leur offrant ainsi un accès privilégié aux prises de décisions. Cette symbiose contre-nature permettant aux entreprises d’avoir la main sur les décisions, a pour conséquences de nous conduire droit à une démocratie vidée de sa substance, mais également à une catastrophe environnementale et à de graves injustices sociales.
Ces entreprises sont «non seulement représentées par de nombreuses associations de lobbying, que ce soit à l’échelle locale ou au niveau mondial, mais elles disposent en plus de toute une armée de lobbyistes à gages, elles rétribuent discrètement des scientifiques pour qu’ils leur servent de porte-parole et elles participent à des projets de greenwashing.» (2)
Un exemple: Quand la compagnie Dow attaquait le Québec
«Le 31 mars 2009, la compagnie Dow AgroSciences LLC (DAS) déposait contre le gouvernement du Canada un avis d’arbitrage en vertu du chapitre 11 de l’ALENA. La plainte vise le gouvernement du Canada en tant que partie à l’ALENA, mais celle-ci concerne l’interdiction d’utilisation et de vente du 2,4-D prévue au Code de gestion des pesticides adopté par le Québec.» (3). Cette plainte est un exemple supplémentaire des techniques commerciales «agressives» utilisées par les compagnies, comme le soulignait la rapporteuse spéciale sur les droits de l’alimentation. (4)
«Monsanto est plus puissante que le gouvernement.» - Pierre Paradis, ministre de l'Agriculture du Québec, octobre 2015. (5)
Tabac et pesticides: même lobby, mêmes impacts, ou quand l’histoire se répète
«Pendant de nombreuses années, une grande part de la population et de ses représentants politiques ont sérieusement douté du fait qu’introduire dans ces poumons du goudron, du polonium et une quantité d’autres cancérigènes pouvait augmenter les risques de cancer. Désormais, une grande part de la population et leurs représentants politiques doutent sérieusement qu’imprégner de neurotoxiques des plantes cultivées sur des millions d’hectares puisse avoir le moindre effet sur les abeilles et les pollinisateurs.» (6)
Un manque de volonté politique
Les efforts déployés par l’industrie des pesticides pour influencer les décideurs et les autorités de réglementation ont entravé les réformes et paralysé les initiatives visant à restreindre l’utilisation des pesticides à l’échelon mondial. Voici l’une des conclusions du rapport de l’ONU paru en 2017 :
«Il faut une véritable volonté politique pour réévaluer et remettre en cause les intérêts corporatistes, les politiques incitatives et les relations de pouvoir qui maintiennent en place une agriculture industrielle étroitement tributaire de l’industrie agrochimique. Il est nécessaire de remettre en cause les politiques agricoles, les systèmes commerciaux et l’influence exercée par les entreprises sur les politiques publiques si nous voulons renoncer aux systèmes alimentaires industriels qui reposent sur les pesticides.» (4)
(1) Site Inf'OGM. (en ligne)
(2) Le lobbying de Monsanto , une attaque contre la nature et notre démocratie. (en ligne)
(3) Entente entre Dow AgroSciences et le gouvernement du Canada. (en ligne)
(4) Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation , 24 janvier 2017, Conseil des droits de l’homme , A/HRC/34/48.
(5) Citation du Ministre de l’agriculture pour justifier que le gouvernement du Québec n’arrivait pas à faire diminuer l’utilisation des pesticides malgré de nombreux plans successifs. Radio Canada. (en ligne)
(6) La fabrique du mensonge: Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger, Stéphane Foucart, Collection Folio actuel (n° 158), Gallimard Parution : 10-04-2014.
Québec : 30 ans de politiques inefficaces
Malgré ces plans successifs depuis plus de 20 ans, les ventes de pesticides pour le milieu agricole ont connu une augmentation marquée au Québec au cours des dernières décennies. Elles représentaient 3,1 millions de kg de matières actives en 1992 et 4 millions de kg en 2014. (1) De plus, la hausse globale de 27% des ventes de pesticides au Québec entre 2006 et 2012 ne s’explique pas par une expansion des terres agricoles, puisque celles-ci ont diminué de 4% durant la même période, mais par une augmentation de la quantité de pesticides appliquée par hectare.
Afin de diagnostiquer et de l’aider à prendre des décisions sur les risques pour la santé et l’environnement dus aux pesticides, le gouvernement du Québec a créé un indicateur de risque des pesticides du Québec (IRPeQ). Ce sont sur ces deux indices que le gouvernement s’est fixé des objectifs de diminution de 25 %. Cependant, d’après le récent rapport du commissaire au développement durable, même si des stratégies phytosanitaires existent depuis 1992 «elles ne sont pas efficaces». Par exemple, depuis la période de référence 2006-2008, les ventes de pesticides sont toujours à la hausse, alors que les indicateurs de risque ne diminuent pas. En fait, les actions visent principalement la sensibilisation des agriculteurs et la réalisation d'études; il y a donc peu d’activités qui ciblent une réduction de l’utilisation des pesticides. Peu de ressources soutiennent la mise en œuvre de la stratégie.» (1)
Le gouvernement souhaite mettre en place une nouvelle stratégie Québécoise sur les pesticides . En 2018, nous sommes en droit d’exiger, comme le recommande la rapporteuse spéciale de l’ONU, «une politique comportant des mesures incitatives pour promouvoir les solutions de substitution aux pesticides dangereux, et fixer des objectifs de réduction contraignants, mesurables et assortis de délais». (2) Malheureusement rien de cela dans cette nouvelle stratégie et voici quelques raisons de son futur échec :
- Cette stratégie se limite à l’atrazine, au chlorpyrifos et à trois néonicotinoïdes qui ne sont pas interdits mais uniquement réglementés puisque leur usage devra être justifié au préalable par un agronome.
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Aucun objectif chiffré supplémentaire que ce soit pour les ventes ou via les indicateurs de risque des pesticides du Québec (IRPeQ).
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Cette future stratégie ne fait pas mention des pesticides à base de glyphosate qui représente 44 % des pesticides vendus au Québec. C’est comme exclure le transport d’un plan de réduction des GES au Québec, cela montre un manque de volonté politique. Ces pesticides sont majoritairement utilisés sur les cultures génétiquement modifiées (GM) et l’année 2017 représente un record pour les surfaces ensemencées de cultures GM au Québec. Cela va encore augmenter la dissémination des pesticides à base de glyphosate dans notre environnement. (3)
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Aucune aide aux agriculteurs, qu’elle soit économique ou professionnelle. Aucune formation n’est proposée afin de leur permettre de mettre en place des pratiques visant à diminuer leur dépendance aux pesticides.