Mythes OGM
Analyse de l'épisode OGM du Pharmachien
Suite à la diffusion, vendredi 8 décembre 2017, d’une émission sur les OGM du Pharmachien sur les ondes de Radio Canada, nous avons demandé à Elisabeth Abergel, professeure au département de sociologie de l’UQAM et spécialiste des nouvelles techniques du vivant, de le visionner.
Elle a bien voulu répondre à nos questions et apporter une analyse critique à cette émission.
1. Quelle est votre impression globale sur cette émission sur les OGM ?
C’était la première fois que je regardais le Pharmachien. Tout d’abord, j’ai été contente de constater qu’il existait des nouvelles émissions de vulgarisation scientifique qui visent à sensibiliser le public sur des enjeux de société souvent polarisés. Puis, après les 5 premières minutes, je me suis vite rendue compte qu’au lieu de permettre de démêler le vrai du faux, le Pharmachien embrouillait encore plus les cartes. Il commence par une fausse pub avec une tomate génétiquement modifiée (GM) qui n’existe pas sur le marché. Puis réalise une petite animation avec une chenille qui mange un concombre (GM) qui lui non plus n’existe pas sur le marché. Pour finir par s’étonner, lors d’une mise en scène devant une université, que les étudiants ne savent pas identifier correctement les cultures OGM sur le marché.
C’est à se demander s’il souhaitait réellement informer le public ou simplement faire passer les arguments anti-OGM comme étant non scientifiques ou encore comme étant irrationnels. Il mélange les questions scientifiques avec les polémiques, je pensais que le but de cette émission était de faire la part des choses. Aucune mention n’est faite du manque de consensus scientifique sur la question des OGM en agriculture et du manque d’études à long terme des effets des OGM sur l’environnement et la santé humaine.
2. Sur le plan scientifique, qu’avez vous pensé de sa définition des OGM et de comment on les fabrique ?
Du point de vue scientifique, il mélange les processus naturels d’évolution ou les croisements génétiques impliquant les mêmes espèces, croisant des génomes et des organismes entiers avec la transgénèse qui est un processus aléatoire et qui permet des organismes/espèces non apparentées à être génétiquement modifiées. Il ne fait pas de différence entre croisements naturels, génie génétique et ADN recombinant. Ainsi, les techniques traditionnelles de domestication animales ou végétales ne sont pas les mêmes que celles issues du génie génétique. Le fait de mettre tout sur un continuum historique qui voudrait nous faire croire que la manipulation des espèces existe depuis la nuit des temps naturalise et banalise les techniques de recombinaison génétique et de transgénèse ignorant ainsi les intérêts industriels et économiques de ceux qui font la promotion des OGM. Alors qu’il dit vouloir démystifier certaines faussetés que l’on peut lire sur les médias sociaux, il continue de véhiculer celles de l’industrie qui voudrait que les OGM aient toujours existé et se créent naturellement. Il faut savoir que les OGM tentent de répondre à des problèmes créés par les industries elles-mêmes, soit des problèmes liés à l’agriculture intensive tout en leur permettant de pérenniser leurs produits (semences OGM et pesticides).
→ Confusion sur le plan scientifique
Le Pharmachien ne met pas du tout en contexte le procédé de transgénèse. Il n’existe aucune explication des étapes précédentes à la séquence avec l’étudiant qui place des bactéries sur des plaques de gélose. Il est aussi trompeur de faire croire que la création d’OGM est aussi simple que ce qu’il met en scène avec l’étudiant qui reproduit une plante. Il aurait été pertinent d’au moins mentionner le caractère aléatoire de cette technique. L’aspect aléatoire de la transgénèse, le fait que l’insertion des transgènes est imprécise et peut perturber le fonctionnement d’autres gènes pouvant ainsi causer des problèmes de toxicité, la création de nouvelles protéines donc d’allergies potentielles, des mutations silencieuses et une instabilité génétique.
→ Marqueur : Gène antibiotique
Ce qui me parait aussi important, c’est que lors de la fabrication des OGM de première génération (ceux qui sont principalement sur le marché), on utilise un gène antibiotique comme marqueur pour vérifier si l’insertion s’est bien passée et si le trait nouvellement introduit exprime la fonction désirée, ce qui inquiète beaucoup sur l’innocuité des produits finals à long terme sur la santé publique. Rappelons que très peu d’études à long terme ont été menées sur les OGM jusqu’à maintenant.
3. L’industrie a toujours clamé que les OGM allaient permettre de diminuer l’utilisation de pesticides, après 20 ans d’utilisation peut-on encore soutenir cette hypothèse de départ à votre avis ?
Il est en effet curieux d’avoir dans la même émission, un intervenant, en l’occurrence vous Vigilance OGM, qui parle d’augmentation globale des pesticides due aux OGM et M.Michaud, qui donne des informations contradictoires à la fin de l’émission. Il aurait été bon que l’émission tranche sur cette question sachant que ces chiffres existent et sont facilement disponibles. J’ai donc fait des recherches en me basant principalement sur les chiffres disponibles dans le bilan des ventes des pesticides compilées par le ministère de l’Environnement du Québec. De 2006 à 2012, on y note une augmentation autant dans la vente globale des pesticides (+24%) et dans leurs impacts sur la santé et l’environnement exprimé par l'indicateur de risque des pesticides du Québec. (IRPeQ) (1) Les OGM favorisent l’utilisation de pesticides, même s’il est impossible de faire une corrélation parfaite entre la vente des pesticides à base de glyphosate et les OGM, puisque nous n'avons pas accès à l’application des pesticides par cultures, on peut toutefois conclure que les OGM semblent entraîner une augmentation de l’utilisation des pesticides par hectares et tend aussi à augmenter les impacts négatifs sur notre santé et notre environnement.
D’ailleurs, il est naïf de penser qu’une compagnie qui vend les semences OGM et leurs pesticides associés aurait un intérêt à créer des semences qui se passeraient de ces produits et diminueraient donc par la même occasion ses profits. D’autant plus que les grandes cultures d’OGM tolérantes à certains herbicides industriels favorisent le développement de mauvaises herbes résistantes à ces mêmes produits, rendant leur contrôle de plus en plus difficile. Les herbicides les plus utilisés dans le monde comme le RoundUp (dont une des composantes est le glyphosate) sont des produits à spectre large, voulant dire qu’ils agissent contre des espèces ciblées et non-ciblées. Dans le cas du maïs Bt, un OGM qui contient un gène provenant d’une toxine bactérienne, ces plantes produisent un insecticide qui cible une classe d’insecte dont des ravageurs du maïs mais aussi des insectes non-nuisibles. Mais le fait de produire cet insecticide pendant toute la saison de culture du maïs rend certains insectes, dont la pyrale, résistants au Bt.
Les deuxièmes générations d’OGM peuvent contenir une tolérance à plusieurs herbicides ou même produire un insecticide et tolérer un herbicide en même temps. D’après moi, ceci ne risque pas de diminuer notre dépendance aux pesticides. Le glyphosate se retrouve partout dans les cours d’eau, il n’est donc pas surprenant de trouver des traces de pesticides dans l’eau et sur nos aliments. Le ministère de l’Environnement du Québec effectue des analyses sur la présence des pesticides dans plusieurs rivières du Québec. En consultant son dernier rapport sur la présence des pesticides dans l’eau (2) , on constate que la présence de glyphosate augmente ces dix dernières années. En 2014, 88% des échantillons montraient la présence de glyphosate mais aussi de l’AMPA (produit de dégradation du glyphosate) dans 70,8% des échantillons. Ce type d’observations est conforme avec d’autres études dans d’autres pays.
4. Les OGM sont utilisés dans de nombreux domaines comme la pharmaceutique et l’agriculture. Y a-t-il des différences notables dans ces différents domaines ?
Effectivement, il y a des différences majeures, personne ne remet en cause l’utilisation de génie génétique en laboratoire afin de découvrir de nouveaux médicaments ou traitement pouvant aider voire même sauver des milliers de vies humaines. Cependant dans le cas de l’application des OGM en agriculture, le laboratoire s’ouvre sur l’extérieur. Le fait que le génie génétique soit utilisé sur des milliers d’hectares en plein champ, cela peut entraîner de la contamination génétique de cultures conventionnelles ou biologiques avoisinantes et change donc la donne. Cette contamination est aussi irréversible et menace la biodiversité. Notons en plus que pour éliminer les mauvaises herbes tolérantes aux herbicides, il faut utiliser d’autres herbicides ou des combinaisons d’herbicides de plus en plus toxiques.
Il faut aussi analyser la finalité des OGM en agriculture, puisqu’il est clair qu’après 20 ans les compagnies développent des semences OGM pour vendre plus de pesticides pas pour le bénéfice des agriculteurs ou des consommateurs. J’en veux pour preuve qu’en 2016, 88 % des OGM commercialisés dans le monde étaient tolérant à un herbicide dit total (3). Cette caractéristique recherchée et promue par l’industrie entraine l’apparition de "super mauvaises herbes" qui s’adaptent et demandent à long terme une augmentation des doses appliquées, c’est aussi ce que les chiffres du ministère de l’Environnement semblent démontrer (1). Le pharmachien fait donc un amalgame dangereux à mon avis dans son émission quand il mélange les applications du génie génétique en pharmaceutique et en agriculture. C’est aussi grossier que de comparer la médecine nucléaire, comprenant l'ensemble des applications médicales de la radioactivité en médecine et la bombe nucléaire qui est elle aussi une technologie basée sur la radioactivité. Dans le cas du génie génétique appliqué en pharmaceutique, le problème que l’on essaie de résoudre est de trouver de nouveaux traitements pour certaines maladies. Dans le cas du génie génétique appliqué en agriculture, quels problèmes les compagnies de biotechnologies essaient de résoudre? Comme expliqué précédemment, 88% des OGM sont créés pour tolérer à un herbicide, elles ne répondent en rien aux réels problèmes auxquels les agriculteurs font face.
5. Quelles sont tes conclusions sur cette émission spéciale OGM ?
Si le but du Pharmachien était de démystifier ce qu’est un OGM afin que le public soit plus au courant, je pense que c’est un échec total. Il a même à de nombreuses reprises repris les "mythes" véhiculés par l’industrie qui ne tiennent plus la route après 20 ans de commercialisation. Il a aussi minimisé, le manque de consensus scientifique sur la dangerosité des OGM sur la santé, l’environnement et les pesticides. Il n’a pas vraiment donné une bonne représentation du secteur scientifique des OGM. Un point qui me parait important aussi ce sont les ‘’Monsanto papers’’, documents internes de la compagnie Monsanto qui révèlent leur stratégie pour attaquer la science et semer le doute sur leurs produits. Une stratégie empruntée au lobby du tabac pour continuer à vendre des produits dangereux pour la santé.
Heureusement, il y a d’autres très bonnes émissions de vulgarisation scientifique comme "La semaine verte" ou "Découverte" qui n’ont pas sacrifié la rigueur nécessaire au détriment du divertissement. En fait, on se demande à qui s’adresse cette émission sur les OGM? Si son but était de fournir des informations utiles aux consommateurs québécois concernant leur alimentation, je pense que ceci n’a pas vraiment marché. Sous couvert d’objectivité scientifique, il est clair que les choix d’arguments et les biais véhiculés dans cette émission n’avaient pour but que de minimiser les incertitudes scientifiques/sociales/écologiques/politiques etc. entourant les OGM.
⇒ Qui est Elisabeth Abergel ?
Elisabeth Abergel est professeure au département de sociologie de l’UQAM, elle se spécialise en sociologie des sciences et des technologies et en sociologie de l’environnement. Ses intérêts de recherche concernent la géopolitique et l’environnement, l’interdisciplinarité dans l’étude des problèmes environnementaux, l’évolution des technologies du vivant sur les systèmes de production agricole et alimentaire et les enjeux de santé environnementale et humaine. De manière générale, elle étudie la relation entre les transformations technoscientifiques dans le domaine du vivant et les systèmes de domination sociale et politique. Elle possède un baccalauréat en génie génétique, une maîtrise en biologie moléculaire végétale et un doctorat en études environnementales. Elle a ensuite travaillé pour plusieurs start-ups en biotechnologie ainsi que dans l’industrie pharmaceutique comme chercheure. Elle bénéficie donc une expérience pratique dans le développement de nouvelles variétés végétales et de vaccins utilisant le génie génétique.
Références :