Dans cet épisode, Lise Parent nous emmène fluidement à la rencontre de l’eau et de ses caractéristiques, afin de parler d’écosystème aquatique, de contamination de l’eau et de santé environnementale. Elle nous explique les notions de bioaccumulation et d’écotoxicologie liées aux pesticides.
Listen to "Épisode 4 - À la rencontre de l’eau - LISE PARENT" on Spreaker.
L'invitée
Lise Parent est écotoxicologue et professeure en sciences de l’environnement à l’Université TÉLUQ. Elle est membre régulière du plusieurs centres de recherche dont le CIRODD, le RRSPQ, le RISUQ, le CIAPE/ICEDA, le RQRAD, le CREPPA et EcotoQ. Ses travaux portent principalement sur l’évaluation et les processus d’évaluation des effets des contaminants, dont les perturbateurs endocriniens et les pesticides, sur la santé humaine et les écosystèmes. Elle s’investit également au niveau du transfert des connaissances liées à des problèmes de santé environnementale auprès de la collectivité. Elle est membre fondatrice du Réseau des femmes en environnement (RQFE) et vice-présidente du conseil d’administration du groupe Action cancer du sein du Québec.
Cette transcription n’est pas à l’abri de quelques fautes d’orthographe. Étant à l’origine audio, la lecture peut aussi s’avérer moins fluide. Nous avons fait le choix de transcrire la section « scientifique » de la discussion uniquement.
(Pour l’ensemble du contenu, nous vous invitons à écouter l’épisode au complet).
ÉMILIE - [00:06:21] : L'eau est très présente au Québec, et là où je vis, sur la Côte-Nord, il y a tellement de rivières et de lacs, et surtout, on côtoie tous les jours le fleuve. Quelle est la place de l'eau au Québec?
LISE PARENT - Au Québec, l'eau est très importante. Effectivement, on a juste à prendre l'avion quand je reviens d'Europe par exemple, et puis qu'on survole le Québec. Je suis toujours fascinée de voir cette quantité d'eau. Et puis, on est vraiment choyés au Québec parce que nous, on possède quand même 3 % des réserves d'eau renouvelables de la planète. C'est quand même important. Puis, il ne faut pas oublier non plus qu'on a un gros fleuve qui traverse le Québec. Alors, 40 % de cette eau douce là est sur le bassin versant du fleuve Saint-Laurent.
ÉMILIE - C'est quoi un bassin versant?
LISE PARENT - C'est une limite géographique, finalement, dans laquelle on voit toute l'eau qui va ruisseler ou qui va se rendre à un cours d'eau principal. Si on parle du bassin versant du fleuve Saint-Laurent, on peut voir de part et d'autre du fleuve Saint-Laurent, tous les tributaires qui se jettent dans le fleuve Saint-Laurent font partie du bassin versant. Chaque cours d'eau a son propre bassin versant!
ÉMILIE - [00:07:34]: Sous quelles différentes formes peut-on retrouver l'eau?
LISE PARENT - On a juste à regarder un globe terrestre. Évidemment, quand on regarde le globe, on appelle ça la planète bleue, la Terre. Ce n'est pas pour rien. C'est parce que la Terre est recouverte à 70 % d'eau. Mais cette eau-là, elle est où? Elle est dans les océans, principalement, à 95-98 %. Il ne reste pas grand-chose d'eau douce, d'eau potable. Et puis, dans les 2 à 5 % qui restent de l'eau qui serait potable, il y en a une grande partie qui fait partie des glaciers, finalement, qui n'est pas accessible. On se retrouve donc avec très peu d'eau de surface, comme les lacs, les rivières, les fleuves, qui constituent finalement la grande réserve d'eau douce mondiale. Dans cette proportion, il y a une grande partie qui est stockée dans les glaciers, comme je le disais, 70 %. Et puis les lacs, les rivières représentent seulement 1 %, tandis que l'eau souterraine est quand même plus abondante. Ça représente à peu près 30 % des eaux douces.
ÉMILIE - [00:08:32]: Est-ce que tu peux me rappeler un peu comment ça fonctionne, le cycle de l'eau justement?
LISE PARENT - On se rappelle, à la petite école, on nous expliquait un peu comment ça se passait. On avait la petite goutte qui cheminait, qui tombait des nuages et puis qui se retrouvait sur la Terre et qui pouvait s'infiltrer dans les sols ou ruisseler jusqu'à un ruisseau, une rivière, un fleuve et après par évaporation retourner dans l'espace, dans les nuages : on appelle ça le cycle de l'eau, effectivement. Alors, il y a une quantité d'eau qui se promène comme ça, puis qui est soumise à différents effets de condensation, d'évaporation, de précipitation, et d'écoulement. Il y a beaucoup d'eau qui s'évapore, soit 61 %. Il y en a 16 % qui s'écoulent en surface, puis qui vont rejoindre les cours d'eau. Puis il y a 23 % qui s'infiltrent puis qui alimentent les nappes phréatiques.
ÉMILIE - [00:09:28]: Louise Hénault-Ethier nous avait parlé des écosystèmes et des interactions entre les êtres vivants. Est-ce qu'on peut parler d'un écosystème de l'eau?
LISE PARENT - Bien sûr, on peut parler d'un écosystème de l'eau. Évidemment, l'eau en soi, ce n'est pas un écosystème, mais le contenant de l'eau, que ce soit un lac, par exemple, une rivière, un fleuve, ça devient un écosystème. Même un petit étang, ça peut être un écosystème. Qu'est-ce que ça comprend un écosystème? Ça comprend de la vie, ça comprend des éléments. Alors l'eau, elle a des caractéristiques différentes et accueille dans son milieu différents organismes vivants. Alors dans le vivant, il y a du végétal, il y a de l'animal. Évidemment, au niveau des animaux, on fait souvent référence aux poissons, c'est quand même assez évident, mais il y a aussi des amphibiens, il y a des reptiles. On peut avoir aussi des insectes, des larves d'insectes qui se tiennent sur le fond des cours d'eau, qu'on va appeler des fois le benthos. Il y a aussi dans la colonne d'eau ce qu'on appelle le plancton. Il peut y avoir du plancton végétal, le phytoplancton. Il peut y avoir du zooplancton, qui est souvent des petits crustacés, des petits organismes qui sont dans la colonne d'eau. Alors tous ces organismes-là, entre eux, avec le milieu aquatique, ont des interactions, puis on parle alors d'un écosystème. Évidemment, s'il y a des modifications qui arrivent à un niveau, ça peut avoir des répercussions sur toutes les autres organisations de la vie. Puis là, on ne parle pas de l'humain qui fait partie aussi de l'écosystème et qui peut avoir aussi des impacts sur ces écosystèmes-là.
ÉMILIE - C'est quoi une colonne d'eau?
LISE PARENT - Une colonne d'eau, c'est une façon de dire l'espace dans l'eau. C'est un peu spécial de dire ça, mais entre la surface et les sédiments, le fond de l'eau finalement.
ÉMILIE - [00:11:25] L'eau, ça a l'air vraiment d'être un milieu qui est très riche. En tant que scientifique, quand tu fais tes recherches, c'est quoi les caractéristiques que tu vas observer?
LISE PARENT - Tout dépend de ce qu'on recherche. Si on veut connaître la qualité de l'eau d'un cours d'eau, habituellement, on va s'arrêter dans un premier temps à mesurer les paramètres physiques, chimiques et biologiques. Qu'est-ce qu'on entend par paramètres physiques? On va regarder quelle est la température, la transparence, la couleur, la conductivité. La conductivité c'est pour déterminer la présence des minéraux. Alors plus une eau est dure, plus il y a de minéraux, plus elle est douce, plus elle est pauvre en minéraux. Elle va avoir une conductivité qui va être faible, etc. Alors, on regarde aussi la vitesse courante dans une rivière. Ce sont les paramètres physiques. Par rapport aux conditions chimiques, on va mesurer le pH, l'acidité, l'oxygène dissous, les matières en suspension, la demande biologique en oxygène, les éléments nutritifs. On a déjà entendu parler du phosphore, de l'azote, les métaux lourds, mais aussi toutes les autres substances, dont les pesticides, qui peuvent venir polluer l'eau. Ce sont les éléments physiques, les éléments chimiques. Et puis, au niveau biologique, qu'est-ce qu'on fait? On va aller voir qu'est-ce qui vit dans ces milieux-là. Alors, on va regarder la biodiversité, puis on va essayer de voir s'il y a eu une introduction, une propagation d'espèces animales ou végétales non-indigènes. Alors, toutes ces mesures ensemble, physiques, chimiques et biologiques, nous permettent de faire une espèce de diagnostic de l'état de santé du lac ou du cours d'eau. Par exemple, si on a une eau chaude, qui est stagnante, souvent, il va manquer d'oxygène. On sait qu'on ne trouverait pas, par exemple, des truites qui peuvent être en manque d'oxygène.
ÉMILIE - [00:13:09]: Est-ce qu'il y a des espèces qui vont te permettre d'avoir une indication sur la qualité de ton eau?
LISE PARENT - Oui, effectivement, il y a des espèces qu'on appelle des bio-indicatrices qui peuvent venir donner des informations sur la qualité de l'environnement. Parce qu'il faut comprendre qu'un changement plus ou moins brusque du milieu, peut entraîner une prolifération ou un déclin de leur population. Alors souvent on peut parler aussi d'espèces sentinelles. Si je recueille des sédiments et que j'observe qu'ils soutiennent surtout par exemple des populations d'oligochètes (comme des vers qui sont dans les sédiments), entre autres, je peux tout de suite dire que c'est un milieu qui n’est pas très très sain, si c'est dominé par les oligochètes. Mais c'est la même chose aussi peut-être pour les algues bleu-vert, qui sont un signe d'apport en phosphore trop important dans un cours d'eau. On utilise aussi des indices de qualité de l'eau qui sont basés sur un assemblage de différentes espèces benthiques, des organismes qui vivent dans le fond du cours d'eau. Alors, si on trouve une série d'espèces dans un cours d'eau, cela correspond par exemple à un cours d'eau de bonne qualité, alors qu'un assemblage avec d'autres espèces correspondrait dans ce cas à un cours d'eau de qualité médiocre. Alors les bio-indicateurs sont des outils qui nous renseignent sur la qualité des cours d'eau.
ÉMILIE - [00:14:29]: Est-ce qu'il y a beaucoup d'études qui sont faites sur l'eau au Québec?
LISE PARENT - Oui, il y a beaucoup d'études qui portent sur les cours d'eau au Québec et au Canada. Il y a même des organismes, des centres de recherche entièrement consacrés à l'étude de l'eau ou des cours d'eau. Que ce soit au niveau académique, que ce soit au niveau gouvernemental ou même que ce soit dans les groupes environnementaux. Je peux en nommer quelques-uns, comme CentrEau, ça ne s'appelle pas comme ça pour rien, l'INRS Eau, terre et environnement, ou même Eau Secours. Mais il y a d'autres organismes aussi qui ne portent pas le nom « eau », mais qui se préoccupent vraiment grandement des aspects de l'eau. Alors, je pense que c'est le domaine pour lequel il y a le plus de recherches au Québec.
ÉMILIE - Et est-ce que les ministères font aussi des recherches sur l'eau?
LISE PARENT - Tout à fait, les ministères font des recherches sur l'eau. Les ministères fédéraux, évidemment, au niveau gouvernemental, il y a le Centre Saint-Laurent, il y a des centres vraiment spécialisés sur les questions de l'eau. Au niveau provincial, on applique des programmes de la réglementation, alors il y a plein de divisions qui ont le mot «eau» dedans aussi. Alors, c'est vraiment une grande préoccupation.
ÉMILIE - [00:15:48]: Toi, à travers tes recherches, quelles sont les analyses que tu en as tirées ?
LISE PARENT - Bien moi, je travaille sur l'eau depuis 35 ans. J'ai travaillé dans le privé, dans le public, puis au niveau gouvernemental. Depuis quelques années, je travaille principalement sur la contamination par les pesticides dans les cours d'eau. Moi, je suis éco-toxicologue, j’ai beaucoup touché au niveau des effluents urbains et surtout des effluents industriels. Je pensais que le côté agricole était réglé naïvement, mais non, effectivement, il y a quand même beaucoup de choses à faire. Il y a beaucoup de choses à faire à différents niveaux. En tant qu'éco-toxicologue, je regarde ce qui se passe au niveau des effets des pesticides dans les cours d'eau, puis au niveau des suivis des contaminations dans les cours d'eau, mais aussi je pose des questions par rapport aux politiques publiques, par rapport au processus d'évaluation en écotoxicologie.
ÉMILIE - Est-ce qu’à travers tes études, tu as remarqué qu'il y avait beaucoup de pesticides dans les eaux au Québec?
LISE PARENT - Mes études quand même, ça fait seulement 5-6 ans que je travaille là-dessus, c'est certain que nos résultats viennent confirmer finalement ce qui est présenté ou ce qui est mesuré par le gouvernement, par le ministère de l'Environnement. Alors, toutes nos rivières en milieu agricole sont fortement contaminées par les pesticides, c'est certain. Le gouvernement fait des suivis et les rapports sont très éloquents en la matière. Alors, nos travaux viennent corroborer ces données-là. On a des informations sur la contamination en pesticides, mais on a peu d'informations sur les effets, sur les organismes, sur les écosystèmes, sur la biodiversité. C'est ça qui m'intéresse actuellement. C'est là-dessus que je travaille.
ÉMILIE - [00:17:43]: Quel type de pesticides peut-on retrouver dans l'eau?
LISE PARENT - Il y a plein de pesticides qu'on peut retrouver dans l'eau en fonction du type de culture. On a parlé de la culture de maïs grain, maïs soya tout à l'heure, mais il y a aussi par exemple, les bleuetières au Saguenay-Lac-Saint-Jean, où il y a au moins 400 bleuetières. Pour produire des bleuets, on utilise habituellement un herbicide, c'est l'hexazinone, qui est utilisé pour contrôler la végétation qui est compétitrice aux bleuets. L’hexazinone, c'est un produit qui est très soluble, comme les bleuets poussent dans des sols très sableux, ils sont très perméables, alors l'hexazinone peut migrer facilement vers l'eau souterraine.
ÉMILIE - Qu'est-ce que les ministères mettent en place en sachant qu'il y a beaucoup de pesticides qu'on retrouve dans les milieux aquatiques?
LISE PARENT - Chaque année, le ministère de l'Environnement échantillonne des cours d'eau dans les régions agricoles du Québec pour y vérifier la présence de pesticides. Alors au fil des ans, le réseau est un réseau permanent de suivi des pesticides qui est composé d'une dizaine de stations, puis a été mis en place pour suivre justement l'évolution des concentrations dans les cours d'eau à proximité de cultures ciblées. Le dernier rapport qui s'intéressait principalement aux cultures de maïs et de soya qui couvre de vastes superficies dans le sud du Québec et qui utilise une proportion importante de pesticides commercialisés au Québec, donnait des résultats dans les années 2018-2020. Qu'est-ce qu'ils ont obtenu comme résultats? Dans tous les échantillons, dans les cours d'eau, dans ces cultures-là, ils détectaient 19 à 43 pesticides et des produits de dégradation de pesticides. Parce qu'on parle de pesticides et des produits de dégradation.
ÉMILIE - [00:19:41 ]: C'est quoi ces produits de dégradation?
LISE PARENT : Sa forme chimique, telle qu'elle est commercialisée, peut être transformée une fois qu'elle est dans le milieu, soit par des réactions microbiennes ou soit par des réactions physiques avec la température, la luminosité, le soleil, etc. On retrouve ces sous-produits là dans nos cours d'eau. Parmi les pesticides qu'on retrouve, on a souvent entendu parler des néonicotinoïdes. Vous savez, ce sont les pesticides qu'on appelle les tueurs d'abeilles. On les a associés au déclin des abeilles. Et ces néonicotinoïdes-là demeurent responsables de la grande majorité des dépassements de critères. C'est quoi ces critères-là? C'est des critères de vie aquatique chronique. Ça c'est un jargon de gestion du ministère qui permet de savoir si on est dans une situation problématique ou pas. Est-ce qu'on est un danger ou pas. Alors on compare les concentrations qui sont mesurées à des critères qui sont calculés pour faire en sorte de protéger des organismes aquatiques qui pourraient être exposés pendant toute leur vie pour faire en sorte qu'ils ne soient pas affectés par une substance. Souvent, on prend plusieurs espèces et c'est à partir de l'espèce la plus sensible qu'on élabore ces critères-là. On trouve aussi, à part des néonicotinoïdes, de l'atrazine. C'est quand même un pesticide qui est toujours utilisé au Québec alors qu'il a été retiré en France en 2003. Il y a aussi un autre pesticide qui m'intéresse parce que je travaille le chlorantraniliprole. C'est un pesticide qui a été introduit et a été inventé, c'est-à-dire des pesticides qui ont été créés par l'humain, en remplacement de néonicotinoïdes. Même si ça fait très peu de temps qu'ils sont en vente, on en trouve dans 100% des échantillons. Dans certains échantillons, dans nos cours d'eau agricoles, ils dépassent les critères de vie aquatique. Et puis c'est toujours en hausse.
ÉMILIE - [00:21:42] Est-ce qu'il y a certains pesticides qu'on va retrouver dans les cours d'eau ou qu'on va épandre, par exemple, sur les champs, qu'on va retrouver plus facilement en plus grande quantité? Est-ce qu'il y a des distinctions?
LISE PARENT - Il faut comprendre que les pesticides sont des molécules chimiques qui ont des caractéristiques. Alors, elles peuvent avoir ce qu'on appelle la demi-vie. Il peut y avoir des substances qui sont plus persistantes que d'autres. Il y en a qui peuvent être plus solubles, c'est-à-dire qu'ils vont, s'il y a une pluie par exemple, partir plus facilement. D'autres qui vont être moins solubles, vont rester dans le sol plus longtemps. Alors, on ne va pas retrouver nécessairement la même cinétique, la vitesse pour atteindre un cours d'eau pour deux pesticides différents, par exemple. Je donnais des exemples tout à l'heure par rapport à ce qu'on retrouve dans le dernier rapport du ministère de l'Environnement, il y avait le tristement fameux glyphosate. On a tous entendu parler du glyphosate, on en entend parler de plus en plus. On dit le glyphosate, dans le fond, c'est ça qui est mesuré, parce qu'on fonctionne substance par substance, mais c'est l'ingrédient actif des herbicides à base de glyphosate, le RoundUp, pour ne pas le nommer, qui a augmenté de façon significative depuis 2005 et qui semble plafonner, mais il y a quand même son produit de dégradation qui est en hausse. Alors le ministère de l'Environnement considère que la présence de tous ces pesticides et le fait qu'il y ait des dépassements des critères de vie aquatique chronique trop fréquents pour certaines substances, tout ça représente un risque pour les espèces aquatiques des cours d'eau. Puis moi, mes travaux de recherche ont vise justement à corroborer ces résultats puis à vérifier sur le terrain les effets réels sur la santé des organismes aquatiques.
ÉMILIE - [00:23:38] Plusieurs études ont montré justement qu'il y avait une forte concentration à la hausse de ces pesticides-là. Qu'est-ce qu'on peut faire pour arrêter ça?
LISE PARENT - Qu'est-ce qu'on peut faire? Moi, je ne sais pas qu'est-ce que moi je peux faire, mais qu'est-ce qu'il faut faire? Il y a des programmes qui sont instaurés depuis 92 dans le suivi de ces pesticides-là au gouvernement. On a affaire à une pollution diffuse, contrairement aux autres types de pollution comme industrielle, urbaine, où est-ce qu'on a un effluent, «un bout de tuyau», là c'est diffus. Alors ça vient d’où ces pesticides-là? La seule façon de faire, c'est de regarder ce qui se fait à la source. Ça, c'est d'autres personnes qui ont les compétences qui regardent auprès des utilisateurs de ces pesticides-là. Est-ce que c'est toujours pertinent de les utiliser? Est-ce qu’on peut les utiliser différemment? Est-ce qu'on peut faire en sorte par exemple de limiter les dégâts ou est-ce qu'on sait que les pluies vont lessiver? Il y a plein de choix qui peuvent se faire, mais c'est surtout des agronomes et puis les gens qui les utilisent qui peuvent trouver les meilleures façons de faire pour diminuer ou même bannir l'utilisation de ces substances-là. Il y a des études qui ont démontré que, par exemple, pour les néonicotinoïdes, qu'il y avait seulement 5% des cas qui étaient justifiés. Alors, juste dans ce sens-là, on vient d'enlever 95% des néonicotinoïdes qui vont se retrouver dans le cours d'eau. Alors, il y a sûrement d'autres choses qu'on peut faire dans ce sens-là, mais il y a des organismes qui ont été créés. D'ailleurs, il y a un groupe, un regroupement de recherche dont je fais partie, le RQRAD, le Réseau québécois de recherche en agriculture durable, qui vise justement à faire en sorte qu'on utilise moins de pesticides.
ÉMILIE - [00:25:34]: Qu'est-ce que le gouvernement fait avec ces résultats?
LISE PARENT - On a des résultats depuis 92 et on instaure des programmes pour faire en sorte qu'il y ait moins d'usages de pesticides, pour prendre des mesures de mitigation, par exemple des bandes, des riveraines, pour diminuer la contamination des cours d'eau. Il y a différentes actions qui sont posées. Par contre, les résultats sont quand même là. Il n'y en a pas de résultats. Il y a toujours une augmentation de pesticides, une augmentation de fréquence, une augmentation de concentration, une augmentation de dépassement des critères. Alors, les résultats ne sont pas nécessairement là. Par contre, on a vu dans le dernier rapport du ministère de l'Environnement que suite à la réglementation qui faisait en sorte que maintenant ce sont des agronomes qui doivent prescrire l'usage de trois néonicotinoïdes, il y a une baisse de ces produits-là. On voit là quand même que s'il y avait des réglementations très fortes, on pourrait arriver à des résultats plus intéressants, ou au moins changer le sens de la courbe.
ÉMILIE - Donc finalement, pour arriver à faire un changement, il faut réduire « simplement », la quantité de pesticides qu'on met dans nos champs.
LISE PARENT - Tout à fait. Les pesticides, ce sont des substances qui ont été créées pour différentes fonctions pour tuer. On veut tuer des mauvaises herbes, on veut tuer des insectes nuisibles, puis on veut tuer des champignons. Ça marche bien sur le champ, mais ils n'ont pas été créés pour aller tuer d'autres organismes dans le milieu aquatique. Mais ils se retrouvent quand même dans le milieu aquatique, alors ça fait des dommages.
ÉMILIE - [00:27:28] C'est quoi les impacts des pesticides quand ils se retrouvent dans l'eau?
LISE PARENT - Quand on mesure les pesticides qui sont dans le milieu aquatique, on peut penser qu'ils vont agir de différentes façons sur les organismes qui sont dans le milieu. Tout à l'heure, on a parlé de tous les organismes qu'il y a, mais entre ces organismes-là, il y a aussi des relations. Il y a ce qu'on appelle la chaîne alimentaire. Il y a un principe en écotoxicologie qui est assez simple aussi, c'est la bioconcentration d'un contaminant. Ce contaminant-là va peut-être s'absorber ou être présent sur les végétaux qui vont être broutés ou qui vont être mangés par certains poissons qui, eux, à leur tour, vont être mangés par des plus gros poissons. Alors, qu'est-ce qui se passe? Ce qu'on observe pour certains pesticides, pas pour tous, mais pour les pesticides qui ont tendance à s'accumuler dans les organismes, c'est qu'en haut de la chaîne alimentaire, on se retrouve avec des poissons qui sont très, très, contaminés. Et puis, ça fait en sorte de déplacer un peu le problème. Ça fait en sorte aussi de maintenir en place toujours ce pesticide-là, il est toujours présent dans le cours d'eau. Quand on parle aussi qu'il y a des concentrations qui dépassent les critères de vie aquatique chronique, c'est qu’il peut y avoir des effets sur la reproduction des organismes. Alors, certaines espèces ne pourront plus se reproduire, vont donner la place à d'autres espèces qui sont plus tolérantes. Ça peut aussi avoir des effets sur la mobilité, sur les habitats, sur toute la chaîne alimentaire. Il y a une étudiante de l’Université de McGill, que j'ai écoutée à la radio, qui regardait l'effet par exemple du glyphosate, l'élément qui dit « actif » des herbicides de base de glyphosate. Et puis, elle regardait l'effet sur le phytoplancton et le zooplancton, ces petits organismes-là qui sont dans l'eau, qui flottent dans l'eau, dans des mésocosmes, pour illustrer le fait que si on change quelque chose sur un maillon de la chaîne alimentaire, ça peut avoir des répercussions. Leur étude a permis de démontrer comment à des concentrations sous les critères de vie aquatique chronique, qui devrait être sécuritaire, il y avait quand même des effets sur certaines espèces de zooplancton pour laisser la place à des espèces qui étaient plus tolérantes à ce produit-là. Alors, qu'est-ce que ça fait à ce moment-là? Pour le phytoplancton, alors qui ne se faisait plus brouter parce que le zooplancton avait changé, il y avait dans un premier temps une surcroissance de ces espèces-là. Et puis le glyphosate aussi, d'un côté, il y avait un effet toxique, mais d'un autre côté, la molécule comprend des éléments de phosphore. Alors, ça venait enrichir le milieu en phosphore, alors ça faisait croître davantage le phytoplancton, les algues. Juste pour dire que tout est dans tout, puis aussitôt qu'on touche quelque chose, ça vient perturber toute la chaîne et la biodiversité du milieu.
ÉMILIE - [00:30:29] Au Québec, il y a beaucoup d'amateurs de pêche. Je me rappelle qu'en cours, on nous a montré une carte sur les recommandations quant à la consommation des poissons. Par exemple, le nombre de repas à consommer par jour en fonction de tel poisson. Ça concernait plus la teneur en mercure. Concernant justement les pesticides et les poissons, quels sont les impacts ? Est-ce qu'il faut qu'on se méfie de quelque chose?
LISE PARENT - C'est toujours un peu la même chose, c'est le même principe qu'on peut appliquer. Dans le sens de la bioconcentration dont on parlait tout à l'heure, la bioaccumulation : plus un poisson est carnivore, plus un poisson est en haut de la chaîne alimentaire, mais plus il risque d'être contaminé. Puis plus ce poisson-là est gros et gras, plus il risque aussi d'avoir des contaminants. Alors on va essayer de privilégier, surtout lorsqu'on se retrouve dans ce qu'on appelle une fenêtre de vulnérabilité, c'est à dire une population vulnérable, on pense surtout aux femmes en âge de procréer, les femmes enceintes, les enfants de bas âge, parce qu'elles sont en développement et puis on sait que certains pesticides ont des effets perturbateurs endocriniens. Alors on va, surtout pour ces personnes-là, restreindre l'alimentation à ces poissons-là qui sont probablement ceux qui sont le plus contaminés en pesticides. Il y a un guide effectivement qui existe, qui répertorie plus de 1200 sites de pêche au Québec. Et puis, en fonction de l'espèce et de la taille, ils donnent des consignes pour les personnes plus vulnérables. Alors, ça peut être une consommation par mois ou jusqu'à huit consommations par mois pour celles qui sont les moins contaminées. Je peux donner un exemple. Comme je travaille du côté de la Montérégie-Ouest, je suis allée voir ce qu'il y avait dans la rivière Châteauguay. Il est recommandé de ne pas manger plus de deux gros achigans ou un seul gros maskinongé qu'on aurait pêché dans la rivière Châteauguay à la hauteur de Huntington.
ÉMILIE - [00:32:48] Et nous, en tant que consommateurs, est-ce qu’on peut boire de l'eau qui est contaminée? Est-ce que les stations d'épuration enlèvent la présence des pesticides?
LISE PARENT - Quand on parle de station d'épuration, il y a deux choses : il y a les stations de filtration, celles qui sont conçues pour nous approvisionner en eau potable, puis il y a aussi les stations d'épuration ou de traitement des eaux usées, c'est celles qui traitent les eaux usées. Alors, il ne faut pas mélanger les choses. Quand on parle des stations de filtration, soit celles qui puisent l'eau dans un endroit qu'on espère le moins contaminé possible et qui traitent l'eau pour acheminer de l'eau potable, ces stations sont conçues pour traiter l'eau afin qu'elle respecte les normes d'eau potable. Il y a des traitements qui sont faits. Un rapport qui a été produit, un bilan de mise en œuvre du règlement a été fait par le ministère en 2013 puis 2018, a démontré l'excellente qualité générale de l'eau distribuée au Québec. Les pourcentages de conformité des échantillons d'eau potable prélevés étaient très élevés. Ils sont de 100% pour les pesticides. Maintenant, on peut questionner les normes. On peut se demander si les normes sont bien. Puis, si on a peur, on peut toujours ajouter à notre eau un traitement domestique, comme le charbon activé par exemple. Ça c'est pour les eaux qui sont puisées dans les eaux de surface. Maintenant, les eaux souterraines : il y a quand même une grande partie de la population qui s'approvisionne en eaux potables dans les eaux souterraines! Le ministère de l'Environnement a fait un suivi entre 2012 et 2014 de 103 puits. Ils les ont échantillonnés et puis le rapport a permis de démontrer que dans ces 103 puits échantillonnés, il y en avait 42 qui montraient la présence de pesticides. Il y avait 16 puits qui comptaient plus d'un pesticide, le plus souvent deux ou trois, mais parfois davantage. Par contre, dans tous les puits, ce qui est quand même assez réconfortant, les concentrations qui étaient mesurées étaient relativement faibles, puis surtout respectaient largement les normes par rapport aux pesticides, les normes évidemment de l'eau potable.
ÉMILIE - [00:35:13] : Comment faire en sorte que les citoyens s'intéressent plus à l'eau?
LISE PARENT - Je pense que c'est l'éducation. Il faut vraiment de l’éducation. Puis je pense qu'on peut profiter aussi du fait que les boissons sucrées ne sont plus à la mode pour attirer l'attention sur la consommation en eau. C'est quand même important. On ne peut pas vivre sans eau. Finalement, c'est un peu ça, on peut penser, les gens peuvent croire que c'est gratuit, même si ce n'est pas. On peut prendre de l'eau, en prendre en grande quantité tous les jours, c'est quand même quelque chose qui est accessible. On est en droit d'exiger que notre eau soit exempte de contaminants et que les mesures soient prises pour sensibiliser la population au fait que l'eau qu'on souille et qu'on rejette, faut pas oublier, elle va être bue par nos voisins en aval. Alors moins on la pollue, moins ça coûte cher pour la dépolluer. Puis il y a plusieurs organismes environnementaux qui prennent la situation en charge et qui font beaucoup de sensibilisation pour que les citoyens se réapproprient les plans d'eau, puis exigent une eau de bonne qualité. Je pense à la Fondation Rivières, EAU secours, et même le Réseau des femmes en environnement, pour ne pas faire de promotion pour mon réseau, qui font des travaux dans ce sens-là.
ÉMILIE - Est-ce que tu penses qu'on est sur la bonne voie? Et sinon, qu'est-ce qu'il faudrait qu'on fasse?
LISE PARENT - C'est une grosse question. Moi, j'ai tendance à être quand même relativement optimiste. Avec les changements climatiques, la sensibilisation à la finalité des ressources est quand même bien amorcée. Les gens sont très, très, très sensibilisés. L'eau est une ressource inépuisable en soi, mais pour assurer sa qualité, ça coûte cher. Alors il faut agir beaucoup, beaucoup, beaucoup en amont. Alors c'est-à-dire avant qu'il y ait des problèmes. Je crois beaucoup aussi au pouvoir des jeunes, ce sont eux qui vont adopter des comportements plus écoresponsables et qui vont exiger de meilleures qualités du milieu. Il y a aussi beaucoup de mouvements populaires, je le disais tout à l'heure, qui peuvent exiger des gouvernements de prendre des mesures en amont. Moi, en tant que scientifique puis chercheur dans le domaine, je me dis que quand on étudie les effets dans les cours d'eau, des pesticides entre autres, c'est parce que c’est déjà trop tard, on ne devrait jamais en arriver là. Les pesticides ne sont pas faits pour contaminer les cours d'eau, c'est fait pour un usage dans le champ. Alors, il faut revenir à des principes plus écologiques à la base puis diminuer l'usage de poison sur nos aliments.
Passez à l'action! Consultez l'ensemble des revendications de Vigilance OGM sur les pesticides, signez le manifeste, et participez aux futurs appels à l’action.
Les références
Les études et rapports
- « Rapport sur l’état des ressources en eau et des systèmes aquatiques du Québec », MELCC, 2020. Rapport sur l’état des ressources en eau et des systèmes aquatiques du Québec, 480 p., (Lien)
- « Présence de pesticides dans l’eau au Québec : Portrait et tendances dans les zones de maïs et de soya – 2018 à 2020 », GIROUX, I. (2022), Québec, ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Direction de la qualité des milieux aquatiques, 71 p. + 15 ann., (Lien)
- « Hexazinone dans des prises d’eau potable près de bleuetières », GIROUX, I. et I. ST-GELAIS, 2010, Saguenay–Lac-Saint-Jean, ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Direction du suivi de l’état de l’environnement et Direction régionale du centre de contrôle environnemental du Saguenay–Lac-Saint-Jean, (Lien)
- « Bilan de mise en œuvre du Règlement sur la qualité de l’eau potable 2013-2018 », Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, 2020. 90 pages, (Lien)
Autres liens
- Réseau québécois des eaux souterraines (RQES), (Lien)
- « Les effets de l'utilisation du glyphosate sur les écosystèmes d'eau douce », Radio-Canada, (Lien)
- Guide de consommation du poisson de pêche sportive en eau douce, Ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, (Lien)
- Réseau des femmes en environnement, (Lien)